Parité euro-dollar : quand Airbus rit, Air France pleure

La conjoncture économique ne semble pas avoir encore de prise sur le dynamisme du transport aérien à l'approche de l'été. En revanche, elle pourrait peser sur les résultats opérationnels des compagnies avec la forte remontée du dollar face à l'euro. Continue depuis un an, elle s'est encore accélérée ces derniers mois. Combinée à la hausse de coûts du kérosène et des matières premières, l'addition pourrait finir par être salée pour Air France-KLM. À l'inverse, le constructeur européen Airbus pourrait en profiter... mais pas tout de suite.
Léo Barnier
Air France-KLM et Airbus ne vivent pas la remontée du dollar de la même manière.
Air France-KLM et Airbus ne vivent pas la remontée du dollar de la même manière. (Crédits : Christian Hartmann)

Après une accalmie, le dollar a repris sa marche en avant face à l'euro. Le billet vert a gagné 1,7 % sur un mois face à la monnaie commune, plus de 8% depuis le début de l'année. Et il se situe actuellement à 1,05 euro. Cette évolution est loin d'être anecdotique pour le transport aérien et l'industrie aéronautique, le premier étant structurellement acheteur en dollar, la seconde vendeuse. Aux deux bouts du spectre, se trouvent ainsi Air France-KLM et Airbus : les deux géants du secteur ne vivent pas cette évolution des cours de la même manière. Ce qui ne les a pas empêchés de s'accorder sur une couverture directe, sans organisme financier tiers, pour la commande 100 appareils de la famille A320 NEO et quatre A350F.

Un risque structurel pour Air France

Largement situées en France et en Europe, les recettes d'Air France-KLM sont majoritairement en euros, à hauteur de 60% en 2021. Le dollar arrive en seconde position, à 20%, grâce à l'implantation du groupe sur le marché nord-américain. Avant la crise sanitaire, la répartition se situait davantage autour de respectivement 55% et 25%. Le reste est constitué d'autres devises dont le groupe ne donne pas le détail, mais le yen est traditionnellement très présent dans les recettes. Or, celui-ci vient d'atteindre son plus bas historique face au dollar depuis 1998.

A l'inverse, une importante partie des coûts opérationnels sont en dollars. En 2021, cela représentait 25%, contre 75% pour les autres devises essentiellement constituées d'euros. Avant crise, le poids du billet vert excédait même les 35%. Le montant des dépenses en dollars tend ainsi à excéder les recettes. Le rapport annuel 2021 d'Air France-KLM mentionne ainsi "un risque structurel résiduel. Par conséquent, toute hausse significative du dollar US par rapport à l'euro pourrait avoir un impact négatif sur les résultats financiers du groupe".

Le poids des marges de raffinage

Les achats en dollars concernent le carburant qui subit, qui plus est, une forte augmentation avec un cours du brut et des marges sur le raffinage très élevées. Ces dernières se sont envolées avec la combinaison d'une reprise d'activité forte et d'un manque de capacités après deux ans à tourner au ralenti. Comme l'expliquait Willie Walsh, directeur général de l'IATA fin mai, les marges de raffinage ont représenté jusqu'à 60% du coût du pétrole brut ces derniers mois, avant de revenir autour de 40%. Mais elles semblent à nouveau repartir à la hausse, alors que le cours du brut tend à se stabiliser entre 110 et 120 dollars le baril.

Si des couvertures existent assez largement sur le prix du pétrole, elles sont rares sur celui du kérosène. KLM a certes réussi à se couvrir directement sur ces marges de raffinage, mais de façon relativement modeste face à ce double effet combinant une hausse des coûts du kérosène à un effet de change défavorable.

La maintenance pèse aussi

L'autre poste de dépenses opérationnelles en dollars est l'entretien de la flotte, l'achat des pièces étant là-aussi fait en billets verts. Là aussi, un double effet est possible avec le renchérissement des matières premières et de l'énergie qui impacte le prix des pièces en plus de l'effet de change.

Enfin, les dépenses d'investissement sont également touchées : avions, sièges, cabines... tout est également en dollars. Même si l'arrangement entre Airbus et Air France-KLM permet à cette dernière de payer ses dernières commandes en euros, l'effet n'est pas entièrement neutre lorsqu'on sait que le groupe est engagé dans un plan d'investissement pour sa flotte à hauteur d'un milliard d'euros par an.

Air France-KLM va donc devoir jouer sur ses recettes commerciales pour contrer cet effet de change négatif. Le groupe peut ainsi adapter son réseau pour vendre davantage en zone dollar, ce qu'il a bien su faire par le passé comme l'explique un analyste. Les fermetures actuelles de la Chine, du Japon et de la Corée lui permet aujourd'hui de disposer de capacités importantes sur l'Amérique du Nord, dont l'offre cet été dépasse celle de 2019.

Si l'un de ces pays vient à rouvrir ses portes pleinement, la question du redéploiement de capacités se posera. C'est notamment le cas au Japon, où seuls les Japonais sont autorisés à entrer sur le territoire actuellement.

Airbus va devoir se montrer patient

À l'inverse, pour Airbus, la remontée du billet vert a tout d'une bonne nouvelle, lui qui est structurellement vendeur en dollar. Pourtant, au petit jeu des couvertures, l'avionneur européen n'a visiblement pas fait le bon pari. Afin de réduire son exposition au dollar, Airbus s'est prémuni face aux risques de variations. Il ne pourra donc pas profiter immédiatement des bénéfices du dollar fort, comme l'expliquait le mois dernier son directeur financier Dominik Asam.

Si le taux de conversion se maintient entre euro et dollar, l'avionneur devrait en tirer parti petit à petit en renouvelant progressivement ses couvertures en cours par de nouvelles avec des taux plus intéressants, mais il faudra probablement attendre 2024 pour le voir en profiter pleinement.

Léo Barnier

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