Procès du Rio-Paris  : une juge de haut vol pour faire la lumière sur l'accident du vol Air France AF447

Magistrate chevronnée, Sylvie Daunis a rapidement pris en main le procès de l'accident du vol Rio-Paris. Ferme dans la tenue des audiences, à l'aise avec les éléments techniques, la juge tire profit de son expérience dans les procès médiatiques et d'un important niveau de préparation. Elle sait aussi prendre des risques, avec sa décision de diffuser l'enregistrement sonore des dernières minutes du vol ce lundi. Un fait rarissime, qui fera l'objet d'un huis clos partiel.
Léo Barnier
Le procès de l'accident du vol Rio-Paris se déroule jusqu'au 8 décembre sous la conduite de la présidente Sylvie Daunis et de ses assesseurs .
Le procès de l'accident du vol Rio-Paris se déroule jusqu'au 8 décembre sous la conduite de la présidente Sylvie Daunis et de ses assesseurs . (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

Depuis le début du procès sur l'accident du vol Rio-Paris il y a une semaine, il est parfois dur de s'y retrouver au sein du Tribunal de justice de Paris. L'émotion et la tension palpables lors de l'ouverture le 10 octobre, après treize ans d'attente pour les familles, puis la technicité des témoignages d'experts qui ont suivi, avaient de quoi perturber les auditeurs les plus aguerris. Pourtant, aidée de ses deux assesseurs, la juge Sylvie Daunis, première vice-présidente du Tribunal judiciaire de Paris et présidente de la 31e chambre correctionnelle, impressionne depuis le début des audiences. Très bien préparée et à l'écoute, elle a aussi montré qu'elle savait prendre des décisions fortes. Il faut dire qu'elle n'en est pas à son premier procès médiatique, ni aéronautique.

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Un choix fort

Et cela a été le cas sur un élément extrêmement sensible : la diffusion ou non de l'enregistrement sonore dans le cockpit réalisé par les boîtes noires (plus exactement par le cockpit voice recorder), à la demande des parties civiles. Après un délai de réflexion relativement court, Sylvie Daunis a autorisé l'écoute de cette bande afin d'aider à la compréhension des faits. Ce sera fait ce lundi en début d'après-midi.

Il s'agit d'un fait rarissime dans un procès d'accident aérien. Habituellement, seuls les enquêteurs ont accès à ces enregistrements pour déterminer l'état d'esprit des pilotes, leurs actions dans le poste de pilotage, les interactions entre eux et avec le reste des personnes à bord, mais aussi analyser tous les bruits environnants pouvant donner des indications sur le déroulement des évènements (alarmes, bruit de grêle, vibrations...). Par la suite, l'enregistrement est placé sous scellés et seules des retranscriptions écrites ou lues (souvent par une voix synthétique) sont alors disponibles.

Les scellés vont donc être brisés au sein du tribunal afin d'entendre les dernières minutes du vol AF447. L'écoute sera néanmoins réservée aux parties constituées et se déroulera dans un huis clos partiel. Presse et public en seront exclus. Et tous les moyens d'enregistrements possibles (téléphones, ordinateurs, objets connectés...) devront être déposés à l'extérieur au préalable. Il en sera sans doute autrement devant les portes de la salle d'audience.

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Tout le monde pourra s'exprimer

Cette décision apparaît dans la continuité de son action depuis le premier jour du procès, Sylvie Daunis n'a pas hésité à montrer sa fermeté pour assurer la bonne tenue des débats. Alors qu'Anne Rigail, directrice générale d'Air France, était interpellée par une des parties civiles, très certainement une proche de l'une des 228 victimes, la magistrate a opéré avec énormément de calme et même de bienveillance un rappel des règles du contradictoire en vigueur dans un procès et de laisser la nécessité à chacun de s'exprimer librement.

Quelques minutes plus tard, lorsque c'était au tour de Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, d'être interrompu, Sylvie Daunis a repris la parole, toujours avec bienveillance, mais avec davantage de fermeté pour garantir la quiétude des débats. Elle n'a ainsi pas hésité à déclarer qu'il serait regrettable de devoir faire intervenir la police de l'audience pour faire sortir certaines personnes si cela venait à se reproduire.

Depuis, la magistrate poursuit ce savant équilibre entre fermeté et écoute, prenant le temps d'expliquer à chaque fois que cela est nécessaire et sachant même, en dépit d'une ambiance parfois lourde au vu de la nature du procès, lancer un trait d'humour pour alléger quelque peu l'atmosphère. Interpellée par une partie civile qui se plaignait de ne pouvoir prendre la parole directement comme cela avait pourtant eu lieu la veille, la juge a indiqué s'être référée « au QRH du tribunal » pour établir que les questions devaient être transmises par écrit au préalable. Par « QRH », il faut comprendre Quick Reference Handbook, soit un document technique contenant les procédures pour faire face aux situations anormales ou d'urgence qui a été au cœur d'une bonne partie du témoignage des experts.

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Une préparation conséquente

En apparence anecdotique, cette référence aéronautique qui dépasse largement le niveau de connaissance basique que peut avoir tout un chacun révèle le très haut niveau de préparation de Sylvie Daunis, ainsi que ses assesseurs. Bien au-delà de sa capacité à gérer les moments chargés en émotion, la magistrate a ainsi pu faire montre à plusieurs reprises de sa connaissance du dossier et de concepts aéronautiques, parfois avancés. Et cela est assurément ressenti dans les travées de la salle d'audience.

La présidente de la 31e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris s'est illustrée par la pertinence des questions posées aux experts pour savoir si les critères de certification des sondes Pitot étaient obsolètes, déterminer si le changement de modèle de sondes aurait pu avoir un impact, comprendre pourquoi la conduite à suivre en cas d'alarme de décrochage était classée dans les procédures complémentaires chez Airbus et Air France et non dans celles d'urgence, établir si les automatismes ont pu induire les pilotes en erreur ou encore estimer si la décision des pilotes de ne pas contourner la zone orageuse était justifiable.

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Servier et Yemenia condamnés

Après avoir débuté sa carrière au parquet dans les années 1990, Sylvie Daunis est devenue magistrat du siège au début des années 2000. Passée par plusieurs tribunaux de grande instance (TGI), elle fut successivement vice-présidente chargée de l'instruction au TGI de Nanterre, puis conseillère à la Cour d'appel de Versailles, avant de prendre son poste à Paris en 2018. En 2020, elle a présidé le procès dit « du médiator », là aussi plus de dix ans après les faits, où les laboratoires Servier ont été condamnés à payer 2,7 millions d'euros d'amende et 180 millions d'euros d'indemnités pour « tromperies aggravées », ainsi que « homicides et blessures involontaires ».

Comme le rapporte l'AFP, la magistrate avait alors motivé son jugement en mettant en avant « l'extrême gravité » des faits de tromperie, d'une « ampleur considérable et inédite » et dont « ont été victimes des milliers de patients », ajoutant que ces agissements avaient « rompu la chaîne de confiance » qui va du fabricant du médicament au patient et « fragilisé la confiance dans le système de santé ». Elle avait ainsi déclaré que : « Malgré la connaissance qu'ils avaient des risques encourus depuis de très nombreuses années (...) ils n'ont jamais pris les mesures qui s'imposaient et ont ainsi trompé » les consommateurs du Mediator.

En 2022, la juge a œuvré dans le procès de la compagnie aérienne Yemenia, suite au crash d'un Airbus A310 au large des Comores en 2009. Cet accident était survenu un mois après celui de l'AF447, faisant 152 morts pour une seule rescapée. La compagnie yéménite a été condamnée pour « homicides et blessures involontaires » à une amende de 225 000 euros, soit la peine maximale.

Toujours selon l'AFP, Sylvie Daunis a ainsi déclaré que « le tribunal a constaté que la Yemenia Airways avait respecté la réglementation, en revanche, il a retenu deux imprudences en lien direct avec l'accident », à savoir « d'une part, le maintien des vols de nuit » vers les Comores malgré le dysfonctionnement de certains feux de l'aéroport de Moroni, et « d'autre part, l'affectation du copilote de ce vol », malgré des « fragilités » dans sa formation. Elle avait ainsi souligné que « les imprudences commises démontrent de la part de la compagnie une culture de la sécurité et de la responsabilité défaillante ».

Léo Barnier

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Commentaires 5
à écrit le 18/10/2022 à 5:55
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la manière la plus simple pour resumer l'accident d'AF 447 Qu'es ce qui a causé le décès de 228 personnes ? L'entrée et l'absence de sortie du décrochage .Qu'es ce qui a empéché la sortie du décrochage ? La position du plan horizontal plein cabré qu...

à écrit le 18/10/2022 à 3:17
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La majorite des pilotes s'accordent pour une faute de coordination, donc d'appreciation de l'equipe d'air France. Faut-il s'en etonner quand on voit le manque de rigueur dans les check-up de certains equipages ?

à écrit le 17/10/2022 à 9:44
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Une juge "de haut vol" pour une affaire de crash d'avion, on ne pouvait pas trouver mieux : bravo! Mais pourquoi faire un procès, et avoir attendu 13 ans pour ça ? ça n'a pas de sens.

à écrit le 17/10/2022 à 8:59
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Si c'était Boeing, un million d'euros pour chaque famille de victimes, le prix du silence ....ce serait déja négocié.

le 17/10/2022 à 11:42
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Ne confondez pas Airbus et Air France....Nulle faute n'a été démontrée côté Airbus, ce n'est pas exactement la même situation avec Boeing.

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