
S'il a fallu attendre treize ans, c'est quasiment à la minute près, et devant une salle d'audience quasiment comble, que s'est ouvert le procès d'Airbus et d'Air France, ce lundi au Tribunal correctionnel de Paris. Les deux groupes phares du transport aérien y comparaîtront jusqu'au 8 décembre pour homicides involontaires suite à l'accident du vol Rio-Paris, la disparition d'un Airbus A330 d'Air France le 1er juin 2009. Et s'ils sont deux sur le banc des accusés, c'est clairement Airbus qui fait office de coupable désigné dans les travées du tribunal.
La séance a débuté par l'appel à la barre de Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus, et d'Anne Rigail, directrice générale d'Air France. Après avoir décliné leur identité, les deux dirigeants sont restés debout au centre de la salle d'audience, pour faire face à l'énumération des noms des 216 passagers et 12 membres d'équipage disparus par la juge et ses deux assesseurs. L'émotion s'est faite particulièrement forte lorsque les magistrats répétaient trois ou quatre fois de suite le même patronyme, synonymes d'une famille disparue.
Les deux accusés demandent la relaxe
Après la lecture du rapport exposant les faits et une courte suspension d'audience, la tension est montée d'un cran au moment de la prise de paroles de deux accusés. Anne Rigail et Guillaume Faury ont tour à tour fait le choix de faire une déclaration avant de confirmer leurs choix de plaider la relaxe, affirmant à nouveau n'avoir commis aucune faute pénale à l'origine de cet accident.
Après avoir rappelé qu'elle avait fait toute sa carrière chez Air France, Anne Rigail a tenu « à exprimer au nom d'Air France (sa) plus profonde compassion pour les proches des victimes du terrible accident d'accident qui nous réunis aujourd'hui. Je ne peux évidemment mesurer leur peine, mais j'ai pleinement conscience de l'émotion et de la douleur que l'on va raviver ces prochaines semaines. »
Elle a ensuite assuré que la mémoire des victimes n'avait jamais quitté Air France, et que la compagnie avait conservé son engagement auprès de leurs proches intact : « C'est un événement qui a marqué également l'histoire individuelle de tous ceux qui ont été au contact des proches des victimes au fil des années. Ce sont en effet plus de 2.000 salariés d'Air France qui se sont mobilisés à travers le monde pour leur porter assistance, les informer et les aider dans leur démarche. » La dirigeante, qui était en charge du hub de Roissy lors de l'accident, a ainsi rappelé qu'elle avait elle-même accueilli les familles de victimes au matin du 1er juin 2009. Anne Rigail a enfin déclaré qu'Air France avait toujours était transparente et pleinement collaboré lors des investigations et qu'elle continuerait à le faire pendant le procès.
Guillaume Faury pris à partie
Si la plus grande partie de sa déclaration s'est faite sans interruption et que la dirigeante concluait en parlant de « la douleur qui restera jamais dans nos mémoires », une voix dans la salle s'est faite entendre vers la fin, certainement de la part d'une proche de victime pour lui refuser l'emploi de ce terme. Après un rappel des principes du contradictoire au sein d'un procès par la juge, la parole a été passée à Guillaume Faury. Et l'exercice s'est avéré bien plus délicat pour le patron d'Airbus, qui a l'inverse d'Anne Rigail n'était pas dans l'entreprise à l'époque puisqu'il venait d'intégrer PSA.
Celui-ci a eu à peine le temps d'exprimer son profond respect et sa profonde considération pour les familles et les proches des victimes qu'il était pris à parti par plusieurs personnes dans la salle. « Enfin et trop tard », « Cela fait treize ans que l'on attend ce moment-là, treize ans. C'est une honte. Honte à vous Monsieur. En treize ans, vous ne nous avez pas approché, vous ne nous avez pas parlé, vous nous avez méprisé », ont ainsi fusé dans le tribunal, obligeant la juge à un rappel à l'ordre et a déclaré qu'il serait regrettable de devoir faire intervenir la police de l'audience.
Après avoir finalement réussi à exprimer sa compassion auprès des proches et des familles, rappelant que lui aussi avait déjà perdu des collègues et des proches dans des accidents aériens, Guillaume Faury a ensuite pu poursuivre estimant que le crash en mer de l'Airbus A330 avec 228 personnes à bord était « un échec dans la mission », à savoir que « tous les gens, passagers et équipages, qui vont dans un Airbus puissent redescendre à la fin du vol ». Il a rappelé qu'il y avait 10.000 Airbus en service dans le monde et qu'il assumait chaque jour la responsabilité de faire voler 5 millions de personnes à travers le monde.
Le reste de la déclaration, qui concluait ce premier jour de procès, s'est déroulé sans autre accroc. Mais cet étalage de chiffres, en dépit de l'émotion visible de Guillaume Faury, n'a vraisemblablement pas convaincu certaines parties civiles au vu des déclarations faites au sortir de la salle d'audience. C'est le cas en particulier de l'association Entraide et Solidarité AF447, qui a clairement fait du constructeur le principal responsable du drame survenu il y a treize ans.
Airbus coupable désigné
L'absence de geste de la part d'Airbus pendant cette période - au contraire d'Air France qui a participé au travail de commémoration des victimes, notamment avec une stèle au cimetière du Père Lachaise à Paris - a largement été pointée du doigt. La lenteur de la procédure, avec notamment la contre-expertise demandée par le constructeur en 2013, passe également mal.
Si Danièle Lamy, présidente de l'association Entraide et Solidarité AF447, a déclaré il y a quelques jours à La Tribune que « les familles souhaitent absolument que le procès soit celui d'Airbus et d'Air France et certainement pas celui des pilotes », c'est bien le nom du constructeur qui était sur les lèvres de ses représentants aujourd'hui. C'est le cas en particulier pour son vice-président Philippe Linguet, qui a qualifié durement les propos de Guillaume Faury : « C'est totalement inacceptable. Ses paroles étaient pour nous inentendables. C'est une honte absolue. » Il a également déclaré qu'il pourrait bientôt « dire ce qu'il pense réellement d'Airbus, et là c'est eux qui vont m'écouter sans m'interrompre ».
A l'inverse, le discours d'Anne Rigail semble avoir porté et la compagnie - qui a pourtant lancé une très importante réforme de sa sécurité des vols à la suite de cet accident - semble passer entre les gouttes des déclarations médiatiques pour le moment.
Le travail de la justice est désormais d'arriver à dépasser cette dimension émotionnelle pour se rapprocher des faits au cours des deux mois d'un procès qui ne fait que commencer. Ce sera le rôle de la juge Sylvie Daunis, déjà rompue à l'exercice en ayant présidé le procès en correctionnelle très médiatique du Médiator l'an dernier, et de ses deux assesseurs. Les premières semaines seront d'ailleurs consacrées à l'audition des différents experts qui sont intervenus au cours des investigations techniques, mais aussi de l'instruction judiciaire du dossier, avec entre autres des représentants des deux collèges d'experts, du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) et de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et des pilotes. Cette séquence s'achèvera début novembre pour laisser la place aux interrogatoires d'Air France puis d'Airbus, avant que les parties civiles ne prennent la parole. Le verdict est attendu le 8 décembre.
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