SNCF : les systèmes de sécurité embarqués, ces freins persistants à l'arrivée de concurrents

On ne casse pas un monopole du jour au lendemain. Malgré l'ouverture du réseau ferroviaire français à la concurrence, de nombreux héritages du monopole de la SNCF continuent de peser lourdement sur la situation. Parmi les freins persistants, les systèmes de sécurité figurent en bonne place, selon l'Autorité de régulation des transports (ART), qui propose des solutions pour clarifier la situation.
Léo Barnier
Les héritages du monopole de la SNCF continuent de peser sur l'ouverture à la concurrence.
Les héritages du monopole de la SNCF continuent de peser sur l'ouverture à la concurrence. (Crédits : Stephane Mahe)

L'Autorité de régulation des transports (ART) ne lâche pas le morceau. Quelques mois après avoir publié une étude sur l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire français, qui dénonçait de nombreux freins persistants à l'entrée sur le marché, elle en remet une couche avec un nouveau rapport, cette fois ciblé sur la grande vitesse. Plus précisément, l'instance présidée par Bernard Roman estime que la difficulté à acquérir et intégrer les systèmes de sécurité embarquée, nécessaires pour circuler sur le réseau hexagonal, constitue « des freins voire des barrières techniques à l'entrée » de nouveaux opérateurs. De fait, elle établit un ensemble de 18 recommandations, qui vient s'ajouter à la quarantaine déjà formulées cet hiver.

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Système de signalisation européen qui doit ouvrir les portes de l'interopérabilité au niveau continental, l'ERTMS (dit « système de sécurité de classe A ») ne livrera ses promesses que dans les prochaines décennies. En attendant, les systèmes de contrôle-commande et de signalisation nationaux (dits « systèmes de sécurité de classe B ») vont perdurer, seuls ou en cohabitation avec le système commun. Ce sera tout particulièrement en France, où le déploiement de l'ERTMS « apparaît en retard par rapport aux réseaux ferrés des pays voisins et sera vraisemblablement très progressif ».

L'étude de l'ART rapporte ainsi que, conformément aux textes européens, des mesures doivent être prises pendant cette période transitoire afin de faciliter l'accès à ces systèmes de classe B et « ne pas obérer l'interopérabilité du système de transport ferroviaire national et l'ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire ». Et là aussi, la France est en retard avec aucune disposition prise pour le moment, que ce soit pour l'accès à l'architecture des systèmes ou l'acquisition d'équipements embarqués. Ce qui constitue donc pour l'Autorité un frein à l'arrivée de la concurrence sur la grande vitesse face à la SNCF.

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Une autorité centralisée pour les systèmes de sécurité

D'où ces 18 recommandations, dont la moitié en vue d'une application immédiate, et le reste à moyen et plus long terme. Elles sont regroupées en cinq thèmes généraux, à commencer par « confier à une 'autorité système' la responsabilité des systèmes de sécurité de classe B historiques en France ». Alors qu'elle est aujourd'hui répartie entre l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), SNCF Réseau, SNCF Voyageurs et les industriels, l'ART souhaite qu'elle soit centralisée au sein de l'EPSF ou éventuellement de SNCF Réseau. Cette simplification doit permettre de faciliter le dialogue pour les nouveaux entrants, avec un interlocuteur clairement identifié.

La deuxième recommandation générale porte sur la « mise en place d'un cadre transparent pour les nouveaux entrants, dès la conception des architectures de sécurité », afin de faciliter l'accès à la documentation là aussi « dispersée entre de nombreux acteurs et parfois insuffisamment mise à jour ». La troisième vise à « favoriser l'ouverture des systèmes historiques pour assurer la disponibilité des équipements de sécurité », afin que les opérateurs alternatifs à la SNCF puissent acquérir des équipements de sécurité embarqués, difficiles à obtenir actuellement en raison de monopoles industriels et d'arrêt de production. En parallèle, cette mesure doit conduire à la possibilité pour d'autres équipementiers de se positionner sur le marché.

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Rattraper le retard sur l'ERTMS

Le quatrième thème général est le « maintien de l'accès aux savoir-faire et aux compétences nécessaires à la mise en œuvre des équipements de sécurité », aujourd'hui essentiellement détenu par SNCF Voyageurs en tant qu'opérateur historique du réseau. Celle-ci devra donc ouvrir les portes de son centre d'ingénierie du matériel à ses concurrents, voire transférer certaines compétences vers SNCF Réseau. Enfin la dernière recommandation générale enjoint la France à « accélérer le déploiement de l'ERTMS sur le réseau ferré national et assurer la visibilité des acteurs sur le calendrier ».

Alors que l'Etat est engagé par le droit européen à équiper plus de 5.800 km de lignes, dont la totalité des lignes à grandes vitesses (LGV), d'ici 2030 afin de réaliser le Réseau transeuropéen de transport (RTE-T), l'ERTMS est actuellement en service sur moins de 40 % des LGV et quasiment aucune petite ligne. Ce qui représente à peine plus de 1.000 km. Selon le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), dans un rapport sorti en mars, le rythme annuel de déploiement actuel est de 120 km, contre 500 km par an attendus jusqu'en 2030 et 750 km par an jusqu'en 2050.

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Des avis partagés

En réponse à ces propositions, l'EPSF s'est montrée assez mesurée, pointant par la voix de son directeur général Laurent Cébulski les obstacles à la création d'une autorité système. Dans un courrier, il indique ainsi que « cette autorité devra disposer, dès sa mise en place, de l'expertise en nombre et en qualité, pour assurer ses missions », mais que le niveau d'expertise requis à cet effet « relève du domaine de compétence des industriels, voire des organismes indépendants d'évaluation de la conformité ».

De son côté, SNCF Voyageurs s'est déclarée largement favorable aux constats et préconisations de l'ART, notamment sur le fait de confier à l'EPSF « la pleine et entière responsabilité des systèmes de classe B en France », sur la disponibilité des équipements de sécurité embarqués, et même sur l'accès à ses concurrents aux savoir-faire et aux compétences qu'elle détient - tout en ajoutant qu'elle applique déjà « ces principes de transparence, d'équité et de non-discrimination dans les prestations d'ingénierie qu'elle fournit aux entreprises ferroviaires qui le demandent ».

Léo Barnier

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