Quelques semaines après les remontrances de l'Autorité de régulation des transports (ART), les sénateurs Hervé Maurey (Union centriste) et Stéphane Sautarel (Les Républicains) tirent à leur tour à boulets rouges sur le futur contrat de performance entre l'Etat et SNCF Réseau.
Dans le rapport "Comment remettre la SNCF sur les rails ?", les deux élus ont dénoncé une impasse à venir pour la compagnie ferroviaire, pointant l'impossibilité en l'état de conjuguer redressement financier du groupe et modernisation des infrastructures. A travers 19 recommandations, ils en appellent donc à aller au-delà de la réforme instaurée par le pacte ferroviaire de 2018.
Pour Stéphane Sautarel, le constat est clair : la crise sanitaire a été dure, mais elle n'explique pas à elle seule la mauvaise santé financière de la SNCF. Celle-ci est donc structurelle. Il estime que la réforme de 2018 était nécessaire (suppression du statut de cheminot, réorganisation du groupe en société anonyme et des mesures d'amélioration de la compétitivité). Mais qu'elle est insuffisante pour assurer l'équilibre économique du groupe et du système ferroviaire.
Hervé Maurey et Stéphane Sautarel ont articulé leurs recommandations autour de trois axes : la remise à plat du modèle de gouvernance et de financement du réseau, un engagement stratégique "réel et sincère" de l'Etat - conforme à ses engagements sur la transition écologique - et à des efforts de productivité conséquents de la SNCF.
Le contrat de performances, nœud du problème
"Nos travaux nous ont convaincu que le mode de financement des infrastructures et la performance de SNCF Réseau constituent le nœud du problème", s'est avancé Stéphane Sauterel. Celui-ci est notamment défini par le futur contrat de performances 2021‑2030 entre l'État et SNCF Réseau, qui définit les lignes directrices pour les 10 ans à venir.
Comme l'ART donc, les deux sénateurs n'ont donc pas hésité à charger le texte, qui doit être signé au printemps. Ils affirment que celui-ci entérine la politique de sous-investissement déjà en vigueur, sans programmation, ni financement dédié pour la régénération et la modernisation de l'infrastructure ferroviaire, ou encore l'absence de réels objectifs de performances pouvant générer des économies substantielles (au moins 1,5 milliard d'euros d'ici 2026).
"Des objectifs de retour à l'équilibre financier sans intégrer l'enjeu de la modernisation du réseau est un non-sens. C'est ce qui nous fait dire que le projet du nouveau contrat de SNCF Réseau a plutôt des allures d'un contrat de contre-performance", tempête Stéphane Sauterel, sénateur Les Républicains et rapporteur spécial.
En cause, selon les deux sénateurs : le futur contrat fera porter la régénération et la modernisation du réseau sur les seuls péages. Ils soulignent que la trajectoire de hausse, de 3,6 % par an en moyenne sur la durée du contrat, risque de limiter le développement de l'offre et donc de ne pas générer les recettes prévues. Il faut un milliard d'euros d'investissement supplémentaire, estiment-ils, "faute de quoi notre réseau décrochera irrémédiablement et les engagements du gouvernement pour diminuer les émissions de CO2 du transport ne seront alors que des paroles en l'air".
Un gestionnaire indépendant, soutenu par l'Etat
Les deux élus demandent donc que l'Etat renforce largement son engagement - au-delà des effets d'annonce - en s'engageant sur une trajectoire financière pluriannuelle renforcée et prenne désormais à sa charge les investissements pour la régénération et la modernisation de l'infrastructure, tandis que les recettes de péage serviraient à couvrir l'entretien. Dans leur idée, cette réforme du financement s'accompagnerait d'une réforme de la gouvernance visant à rendre le gestionnaire d'infrastructures réellement indépendant. Il s'agit ni plus ni moins de sortir SNCF Réseau du giron du groupe SNCF, et de mettre fin au mélange des genres actuels : cohabitation avec l'exploitant SNCF Voyageurs et présence de dirigeants de la société mère au conseil d'administration de SNCF Réseau.
En s'appuyant sur les déclarations de Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe SNCF, le sénateur Maurey rappelle que l'investissement nécessaire pour la modernisation du réseau est évalué à 35 milliards d'euros, mais que cela pourrait générer 10 milliards d'euros d'économies par an.
Cela permettrait principalement d'assurer la mise en place de la Commande centralisée du réseau (CCR) pour remplacer les 2.200 postes d'aiguillages, dont un tiers est encore actionné à la main, et du Système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Selon le sénateur Sauterel, le système français "accuse un retard considérable promis à se creuser dans des proportions du réseau si l'Etat continue d'ignorer cet enjeu". A cela, le rapport ajoute le financement des 10 milliards d'euros promis d'ici 2030 pour la modernisation des infrastructures de fret, dont seul le premier milliard est aujourd'hui sécurisé.
La SNCF doit prendre sa part et réduire ses effectifs
Si la responsabilité de l'Etat est au cœur du rapport, celle de la SNCF l'est également. Avec nombre d'indicateurs à l'appui - dont des gains de productivité entre 1996 et 2013 quatre à cinq fois moins importants pour la SNCF que pour ses homologues allemands, ou des coûts de roulage supérieur de 60 % - Stéphane Sautarel juge la compétitivité du groupe français très insuffisante.
Sur ce point, les sénateurs estiment que le législateur a fait sa part en 2018 en entérinant la casse du statut de cheminot et la reprise de 35 milliards d'euros de dettes de la SNCF (sur 55 milliards fin 2017). Ils appellent désormais le groupe ferroviaire à prendre de nouvelles mesures pour améliorer davantage sa compétitivité.
Le rapport appelle à accélérer le rythme des réductions d'effectifs à un niveau de 2% par an. Un milliard d'euros d'économie par an est escompté. Ce qui correspond peu ou prou à la réduction annoncée en septembre dernier par Jean-Pierre Farandou.
L'organisation de l'activité est aussi visée, avec un appel à la polyvalence, à l'optimisation des temps de travail ou encore à la promotion de l'externalisation. A la clef, selon les deux sénateurs, se trouve une économie de 500 millions d'euros par an.
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