Bernard Roman n'y va pas avec le dos de la cuillère : "Il reste beaucoup à accomplir pour permettre à l'ouverture à la concurrence de tenir toutes ses promesses". Le président de l'Autorité de régulation des transports (ART), dénonce ainsi les nombreux freins qui persistent à l'entrée du marché ferroviaire français et "qu'il faudrait supprimer". Il évoque tour à tour les conditions d'accès aux infrastructures, l'accès aux données pour les services conventionnés dans les régions, et la levée de barrières spécifiques pour les services librement organisés (SLO). Il en profite également pour charger à nouveau le projet de contrat de performances entre l'Etat et le gestionnaire SNCF Réseau, jugé inadapté pour répondre à ces problématiques.
L'ART appelle donc à la menée de trois chantiers prioritaires, à commencer par celui de l'accès aux infrastructures, au premier rang desquelles se trouve le réseau. Après quelques difficultés, l'attribution par SNCF Réseau de sillons aux transporteurs alternatifs semble s'être normalisée. C'est du moins ce que rapportaient Luc Lallemand, PDG de SNCF Réseau, et Nicolas Debaisieux, directeur général de Railcoop en fin d'année dernière. Cela ne suffit pourtant pas selon l'ART qui dénonce le niveau élevé des redevances ainsi que la structure tarifaire en vigueur en France.
Un choix politique coûteux
Bernard Roman explique ainsi que le financement de l'infrastructure repose à 90 % sur les redevances contre 50 % en moyenne en Europe. Ce qui entraîne des tarifs élevés. De fait, selon les lignes, les péages représentent entre 15 et 40 % des coûts d'exploitation des opérateurs. Un choix politique qui conduirait à privilégier le remplissage au détriment de l'offre.
Le patron de l'ART juge que ce phénomène est renforcé par la structure tarifaire des SLO. Celle-ci est identique pour toutes les lignes et ne tient pas compte de la capacité effective du marché à assumer le coût de ces péages. Dès lors, il estime que les entreprises ferroviaires ont tendance à supprimer des trains sur les lignes "coûteuses" pour ne se concentrer que sur celles qui "rapportent". Il y voit l'une des causes du recul de 4 % du nombre de trains-kilomètres en France entre 2010 et 2019, là où la moyenne européenne a crû de 10 % environ.
"Nous allons être très attentifs" prévient Bernard Roman, qui menace de ne pas valider la future tarification (2024-2026) sans un accord avec SNCF Réseau sur l'évolution de la structure pour les SLO, ainsi que pour les services conventionnés régionaux.
Les technicentres difficiles d'accès
Le président de l'ART dénonce également des problèmes équivalents pour l'accès aux installations de services comme les gares, ou encore les centres de maintenance, aujourd'hui exploités par l'opérateur historique SNCF Voyageurs, comme prévu dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. En dépit d'améliorations, il estime que des progrès sont encore possibles sur l'accès et la tarification proposée aux opérateurs alternatifs. Trenitalia est ainsi contrainte de ramener ses trains en Italie régulièrement pour en assurer la maintenance. Or celle-ci constitue un facteur majeur de la qualité et de la régularité de l'offre.
Au-delà des tarifs, l'ART dénonce des barrières techniques. Elle appelle à une accélération de la modernisation du réseau pour accroître l'efficacité opérationnelle, que ce soit pour la gestion des circulations avec le "déploiement indispensable" de 16 commandes centralisées pour remplacer les 2.200 aiguillages actuels, ou pour l'amélioration de la capacité et de l'interopérabilité avec la mise en place du système de signalisation européen ERTMS.
Un contrat de contre-performances
Cette capacité de SNCF Réseau à moderniser l'infrastructure dépend largement de son projet de contrat de performances pluriannuel (2021-2030), actuellement en cours de finalisation. Or, l'ART a fustigé celui-ci il y a quelques jours. S'il comprend l'objectif de rétablissement financier du gestionnaire d'infrastructures posé par ce projet, Bernard Roman n'a ainsi pas hésité à parler d'un "contrat de contre-performances" sur le plan industriel, n'apportant aucune garantie sur la modernisation du réseau, voire l'entretien et la régénération de certaines lignes.
De même, le régulateur pointe le risque de manque d'indépendance de SNCF Réseau par rapport à SNCF Voyageurs, en raison de fonctions essentielles mutualisées au sein de la holding SNCF (systèmes d'information, service juridique), mais aussi de leur relation financière. Les investissements du gestionnaire d'infrastructures dépendent ainsi à hauteur de 20 % des dividendes de l'opérateur historique, qui lui seront reversés via la holding SNCF.
Bien que l'ART n'ait qu'un rôle consultatif, Bernard Roman espère convaincre le Parlement de la pertinence de ses remarques. Cela semble être le cas au Sénat, où elles ont été intégralement reprises en commission.
Sortir du pré carré
Sur le chantier de l'ouverture à la concurrence des lignes régionales, l'ART rappelle que les autorités organisatrices de transports (AOT) - c'est-à-dire les régions - doivent disposer des données nécessaires à l'établissement des appels d'offres. Bernard Roman précise que ces données doivent être également pertinentes et exploitables. Il cite aussi le problème de la transmission des carnets de maintenance actualisés dans le cadre des transferts de matériels roulants de SNCF Voyageurs à un opérateur alternatif. SNCF Voyageurs serait ainsi peu encline à livrer ces informations, arguant du secret industriel sur ses processus de maintenance.
Enfin sur le chantier des SLO, les barrières spécifiques évoquées par l'ART portent essentiellement sur le matériel roulant. Le régulateur signale ainsi le besoin d'importants fonds pour l'acquisition de rames avant même le début de l'exploitation, ce qui constitue un frein pour les petites structures. La mise en place de sociétés de location et de gestion des flottes de matériels roulants (Rosco) et le développement d'un marché d'occasion sont évoqués comme des solutions possibles à ce problème.
De même, Bernard Roman pointe les difficultés à homologuer du matériel étranger - d'autant plus s'il ne s'agit pas de trains Alstom - sur le réseau français. Ce qui renforce sa volonté d'accélérer le déploiement de l'ERTMS.
Une réelle attractivité malgré tout
Quelque soit l'importance de ces différentes barrières, le patron de l'ART semble en tout cas convaincu de l'attractivité du marché ferroviaire français. Il évoque ainsi les nombreux intérêts de la part d'opérateurs pour lancer de nouvelles lignes. Entre juin 2019 et juin 2021, l'ART a ainsi reçu 38 déclarations d'intention pour opérer des SLO, de la part des grands groupes internationaux Renfe, Trenitalia et Flixtrain, des acteurs plus modestes Le Train et Railcoop, ainsi que de l'opérateur historique SNCF Voyageurs. Et sur ce total, 3 concernent la grande vitesse et 35 les lignes classiques.
Même chose sur les services conventionnés où Arriva, Régionéo , Renfe, Trenitalia et bien sûr Transdev se sont manifestés lors des premiers appels d'offres.
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