Ferroviaire : ces bâtons dans les roues des concurrents qui protègent encore la SNCF

Dans son étude sur l'ouverture à la concurrence du ferroviaire français, l'autorité de régulation des transports (ART) est claire : l'arrivée de nouveaux acteurs sera bénéfique à tous, même à l'opérateur historique SNCF, et apportera un nouveau souffle à un secteur en repli depuis des années. Mais cela nécessite la levée de nombreux freins la levée de nombreuses barrières à l'entrée : financière, technique et organisationnelle. Le régulateur formule ainsi pas moins de 39 recommandations pour réussir véritablement cette ouverture.
Léo Barnier
Le régulateur veut lever un certain nombre de barrières techniques et financières pour réellement ouvrir le ferroviaire français à la concurrence.
Le régulateur veut lever un certain nombre de barrières techniques et financières pour réellement ouvrir le ferroviaire français à la concurrence. (Crédits : Charles Platiau)

Bernard Roman n'y va pas avec le dos de la cuillère : "Il reste beaucoup à accomplir pour permettre à l'ouverture à la concurrence de tenir toutes ses promesses". Le président de l'Autorité de régulation des transports (ART), dénonce ainsi les nombreux freins qui persistent à l'entrée du marché ferroviaire français et "qu'il faudrait supprimer". Il évoque tour à tour les conditions d'accès aux infrastructures, l'accès aux données pour les services conventionnés dans les régions, et la levée de barrières spécifiques pour les services librement organisés (SLO). Il en profite également pour charger à nouveau le projet de contrat de performances entre l'Etat et le gestionnaire SNCF Réseau, jugé inadapté pour répondre à ces problématiques.

L'ART appelle donc à la menée de trois chantiers prioritaires, à commencer par celui de l'accès aux infrastructures, au premier rang desquelles se trouve le réseau. Après quelques difficultés, l'attribution par SNCF Réseau de sillons aux transporteurs alternatifs semble s'être normalisée. C'est du moins ce que rapportaient Luc Lallemand, PDG de SNCF Réseau, et Nicolas Debaisieux, directeur général de Railcoop en fin d'année dernière. Cela ne suffit pourtant pas selon l'ART qui dénonce le niveau élevé des redevances ainsi que la structure tarifaire en vigueur en France.

Un choix politique coûteux

Bernard Roman explique ainsi que le financement de l'infrastructure repose à 90 % sur les redevances contre 50 % en moyenne en Europe. Ce qui entraîne des tarifs élevés. De fait, selon les lignes, les péages représentent entre 15 et 40 % des coûts d'exploitation des opérateurs. Un choix politique qui conduirait à privilégier le remplissage au détriment de l'offre.

Le patron de l'ART juge que ce phénomène est renforcé par la structure tarifaire des SLO. Celle-ci est identique pour toutes les lignes et ne tient pas compte de la capacité effective du marché à assumer le coût de ces péages. Dès lors, il estime que les entreprises ferroviaires ont tendance à supprimer des trains sur les lignes "coûteuses" pour ne se concentrer que sur celles qui "rapportent". Il y voit l'une des causes du recul de 4 % du nombre de trains-kilomètres en France entre 2010 et 2019, là où la moyenne européenne a crû de 10 % environ.

"Nous allons être très attentifs" prévient Bernard Roman, qui menace de ne pas valider la future tarification (2024-2026) sans un accord avec SNCF Réseau sur l'évolution de la structure pour les SLO, ainsi que pour les services conventionnés régionaux.

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Les technicentres difficiles d'accès

Le président de l'ART dénonce également des problèmes équivalents pour l'accès aux installations de services comme les gares, ou encore les centres de maintenance, aujourd'hui exploités par l'opérateur historique SNCF Voyageurs, comme prévu dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. En dépit d'améliorations, il estime que des progrès sont encore possibles sur l'accès et la tarification proposée aux opérateurs alternatifs. Trenitalia est ainsi contrainte de ramener ses trains en Italie régulièrement pour en assurer la maintenance. Or celle-ci constitue un facteur majeur de la qualité et de la régularité de l'offre.

Au-delà des tarifs, l'ART dénonce des barrières techniques. Elle appelle à une accélération de la modernisation du réseau pour accroître l'efficacité opérationnelle, que ce soit pour la gestion des circulations avec le "déploiement indispensable" de 16 commandes centralisées pour remplacer les 2.200 aiguillages actuels, ou pour l'amélioration de la capacité et de l'interopérabilité avec la mise en place du système de signalisation européen ERTMS.

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Un contrat de contre-performances

Cette capacité de SNCF Réseau à moderniser l'infrastructure dépend largement de son projet de contrat de performances pluriannuel (2021-2030), actuellement en cours de finalisation. Or, l'ART a fustigé celui-ci il y a quelques jours. S'il comprend l'objectif de rétablissement financier du gestionnaire d'infrastructures posé par ce projet, Bernard Roman n'a ainsi pas hésité à parler d'un "contrat de contre-performances" sur le plan industriel, n'apportant aucune garantie sur la modernisation du réseau, voire l'entretien et la régénération de certaines lignes.

De même, le régulateur pointe le risque de manque d'indépendance de SNCF Réseau par rapport à SNCF Voyageurs, en raison de fonctions essentielles mutualisées au sein de la holding SNCF (systèmes d'information, service juridique), mais aussi de leur relation financière. Les investissements du gestionnaire d'infrastructures dépendent ainsi à hauteur de 20 % des dividendes de l'opérateur historique, qui lui seront reversés via la holding SNCF.

Bien que l'ART n'ait qu'un rôle consultatif, Bernard Roman espère convaincre le Parlement de la pertinence de ses remarques. Cela semble être le cas au Sénat, où elles ont été intégralement reprises en commission.

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Sortir du pré carré

Sur le chantier de l'ouverture à la concurrence des lignes régionales, l'ART rappelle que les autorités organisatrices de transports (AOT) - c'est-à-dire les régions - doivent disposer des données nécessaires à l'établissement des appels d'offres. Bernard Roman précise que ces données doivent être également pertinentes et exploitables. Il cite aussi le problème de la transmission des carnets de maintenance actualisés dans le cadre des transferts de matériels roulants de SNCF Voyageurs à un opérateur alternatif. SNCF Voyageurs serait ainsi peu encline à livrer ces informations, arguant du secret industriel sur ses processus de maintenance.

Enfin sur le chantier des SLO, les barrières spécifiques évoquées par l'ART portent essentiellement sur le matériel roulant. Le régulateur signale ainsi le besoin d'importants fonds pour l'acquisition de rames avant même le début de l'exploitation, ce qui constitue un frein pour les petites structures. La mise en place de sociétés de location et de gestion des flottes de matériels roulants (Rosco) et le développement d'un marché d'occasion sont évoqués comme des solutions possibles à ce problème.

De même, Bernard Roman pointe les difficultés à homologuer du matériel étranger - d'autant plus s'il ne s'agit pas de trains Alstom - sur le réseau français. Ce qui renforce sa volonté d'accélérer le déploiement de l'ERTMS.

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Une réelle attractivité malgré tout

Quelque soit l'importance de ces différentes barrières, le patron de l'ART semble en tout cas convaincu de l'attractivité du marché ferroviaire français. Il évoque ainsi les nombreux intérêts de la part d'opérateurs pour lancer de nouvelles lignes. Entre juin 2019 et juin 2021, l'ART a ainsi reçu 38 déclarations d'intention pour opérer des SLO, de la part des grands groupes internationaux Renfe, Trenitalia et Flixtrain, des acteurs plus modestes Le Train et Railcoop, ainsi que de l'opérateur historique SNCF Voyageurs. Et sur ce total, 3 concernent la grande vitesse et 35 les lignes classiques.

Même chose sur les services conventionnés où Arriva, Régionéo , Renfe, Trenitalia et bien sûr Transdev se sont manifestés lors des premiers appels d'offres.

Léo Barnier

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Commentaires 21
à écrit le 17/02/2022 à 16:39
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Chère Europe qui oblige la concurrence à tout va, vivement qu'on en sorte! Donnez moi un exemple en France et ailleurs qui vous a apporté un vrai plus . Sociétés d'autoroute, énergie, transports,...On compare à d'autres pays comme à l'Italie mais ceu...

le 25/02/2022 à 17:39
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La concurrence dans les télécoms a permis l'émergence d'offres téléphonie et Internet très abordables qui bénéficient à tous. La concurrence fiscale au sein de l'UE évite que certains pays, tels que le France, forcent trop la dose avec des taux d'im...

à écrit le 17/02/2022 à 11:28
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Je n'ai pas vu évouer la gréviculture de la SNCF depuis 50 ans, même gros crocole bolchevique peut être pas dans le nombre de syndiqués mais dansl les mentalités d'un autre âge celui d'après guerre. Les concurrents eux ont bienb évolué (Italiens et A...

le 17/02/2022 à 23:07
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Eh ben vous n avez jamais pris le train en Italie sur le réseau secondaire : immondice sur les voies et rat crevé sur les sièges …. À la gare de milan fg as ‘gèlent de vous toutes les 5 mns avec la cohue que vous imaginez …

le 17/02/2022 à 23:07
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Eh ben vous n avez jamais pris le train en Italie sur le réseau secondaire : immondice sur les voies et rat crevé sur les sièges …. À la gare de milan changement de voie toutes les 5 mns avec la cohue que vous imaginez …

à écrit le 17/02/2022 à 10:45
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Comment peut on parler d'ouverture à la concurrence sur les lignes régionales quand nos élus passent des conventions de concession pour 20 ans voire plus? Nouveau monopole accordé au privé et toujours subventionné par la région. Pour ce qui est de...

le 17/02/2022 à 19:22
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La cour des compte pointent le risque - on ne peut la taxer de partie pris car la sncf en prend Aussi pour son grade- que les édiles regionaux ne se servent du prétexte de privatisation pour faire du moins disant et moins coûtant - contrairement à...

le 17/02/2022 à 23:11
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Non les prix ne baisseront pas… la cour des comptes évoque plutôt des augmentations car les tarifs des sillons ferroviaires vont exploser vu les investissements nécessaire pour accueillir la concurrence ( traduction des manuels technique ssignalisat...

à écrit le 17/02/2022 à 10:40
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A ceux qui souhaitent ouvrir la circulation des trains à la concurrence, qui rêvez de retirer le monopole de la SNCF, sachez que : L'objectif principal des compagnies concurrentes est avant tout de faire du profit, donc de supprimer tout ce qui n'e...

à écrit le 17/02/2022 à 9:18
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Louent ils l'utilisation des voies ferrées ou bien ça fait comme nos routes payées par le contribuable alors que les gains ne partent que dans le privé ? Nos politiciens font vraiment tout pour casser le moyen de transport des français. 13% de confia...

à écrit le 17/02/2022 à 1:11
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Les Français sont trop simples d'esprit pour comprendre l'intérêt d'ouvrir le réseau ferroviaire à la concurrence. Ils lisent que les trains italiens peuvent maintenant rivaliser et pensent automatiquement que c'est horrible parce que l'opérateur fra...

le 17/02/2022 à 8:09
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Les Français en règle générale ne brillent pas par leur ouverture d'esprit et leur adaptabilité au monde de demain. Lorsqu'on parle d'ouvrir le rail à la concurrence c'est direct "oui mais en Angleterre gneugneugneu". L'Angleterre est un cas très par...

le 17/02/2022 à 11:29
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Les médias et les politiques y compris ceux de droite sont largement responsables de cet état d'esprit qui concoure à affirmer que la moindre privatisation est une braderie organisée par l'état au profit d'intérêts privés comme si un actionnaire qui ...

à écrit le 16/02/2022 à 18:26
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On privatise à fond les profits et on mutualise les contraintes, c'est vieux comme la révolution industrielle. Mais pourquoi ils s'attachent à détruire notre pays??

le 17/02/2022 à 5:17
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@Albert. Un homme va bousculer la table s'il est elu. Z. Ca vous parle ? Si vous aimez votre pays votez Zemmour. 5 ans encore avec ce falabraque aux gouvernes et s'en sera fait de la France.

à écrit le 16/02/2022 à 18:14
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Mauvaise pioche. Le résultat c'est s'il va y avoir autant de fournisseurs alternatifs de billets de trains que de vendeurs d'électricité. Le résultat sera une augmentation du prix des billets et un réseau qui va partir à veau-l'eau. Comme les résea...

le 16/02/2022 à 18:32
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L'exemple de l'Italie prouve le contraire.

le 17/02/2022 à 8:05
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Avec des mentalités pareilles on serait encore en train de carburer au Minitel aujourd'hui et on aurait tous la dernière bouse de Sagem au lieu d'un Samsung. Allez faire un tour en Allemagne ou en République Tchèque, vous verrez que libéraliser le ra...

le 17/02/2022 à 9:55
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Sauf qu’avec la SNCF, entreprise d’Etat, vous payez deux fois votre billet : une fois lors du déplacement et une autre fois dans vos impôts pour boucher le trou des déficits de l’entreprise……

à écrit le 16/02/2022 à 16:49
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"What did you expect ?" Car les cocos continuent de veiller sur leur BIEN LE PLUS PRECIEUX: la SNCF bastion CGTISTE, ex Communiste et leur rente assurée. Ils ont déjà perdu la SNCM Corse, alors pas question de voir disparaître la SNCF et pourtant si ...

le 17/02/2022 à 9:58
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Vous évoquez une situation des années 70 … mais ça fait 50 ans et les générations ont évolué…. Selon vous quel est le taux de syndicalisation à la sncf? Moins que chez EDF ou Air France .. vous ne connaissez rien à organisation de cette boîte depuis...

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