Un seul pilote dans le cockpit : "On y travaille", dit Marc Rochet, le boss d'Air Caraïbes et French Bee

Lors du Paris Air Forum, Marc Rochet, le directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee, a fait une déclaration fracassante : Il a confié étudier le passage à un seul pilote dans le cockpit. Un sujet hyper sensible sur le plan social qui suscite l'opposition du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).
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Ce lundi 21 juin dernier, lors du Paris Air Forum, les propos tenus par Marc Rochet, le directeur général d'Air Caraïbes et président de French Bee, sont passés inaperçus. Pourtant, ils font l'effet d'une bombe au sein du transport aérien français.

Des A350 avec un seul pilote aux commandes en 2025 ?

Lors du débat intitulé "Hub ou point-à-point : quels modèles et quels avions pour demain ?",  auquel il participait aux côtés d'Eric Schulz, ancien président de Rolls Royce Aviation, ancien directeur commercial d'Airbus et président de SHZ Consulting, et Pierre Vellay, ancien directeur de la flotte d'Air France et président de New & Next Consulting, Marc Rochet s'est en effet exprimé en faveur du monopilotage, un sujet hyper sensible sur le plan social qui irrite les pilotes.

A l'étude ces dernières années, ce projet n'a pas été remis en cause par la crise. Bien au contraire. Il se retrouve à nouveau sous les feux des projecteurs depuis que l'agence Reuters a dévoilé mi-juin les travaux menés par Airbus et Cathay Pacific pour lancer d'ici à 2025 des vols long-courriers à "équipage réduit". C'est à dire avec un seul pilote dans le cockpit, sauf pendant les phases du décollage et d'atterrissage, alors qu'ils sont aujourd'hui en permanence au moins deux dans le cockpit des vols long-courriers, avec, pour les vols les plus longs, un troisième, voire un quatrième pilote en renfort.

Dans le projet Single Pilot Operations (SPO) d'Airbus, le pilote au repos pendant la phase de croisière pourrait venir en aide à son collègue dans le cockpit en cas de problème. Les deux pilotes seraient en revanche tous deux présents au décollage et à l'atterrissage. Un projet que soutient Marc Rochet.

"Un seul pilote ? Je vais peut-être dire quelque-chose de choquant, a déclaré Marc Rochet. Mais en court ou moyen-courrier, la décision est déjà prise. On sait bien les coûts qui sont derrière tout cela, les progrès du monde digital, on sait bien qu'on n'arrête pas ce genre d'évolution (...). On ne voit pas pourquoi, aujourd'hui, sur un avion qui fait Paris-Toulouse, il faut deux pilotes dans un avion moderne, conçu pour cela. Et sur un avion qui va de Paris à Los Angeles, quelle est la raison d'avoir trois équipages (pilotes, NDLR) alors que l'on sait que sur 10 heures de vol, un seul dans le cockpit, cela suffit largement. Deux équipages, ça sera la norme du long-courrier demain. Oui, ça sera difficile et délicat. Il y a beaucoup de projets. Il y a quelqu'un qui le fera dans le monde et il faudra bien suivre, donc autant être devant".

Interrogé pour savoir s'il était prêt à introduire une telle révolution sur Air Caraïbes  ou French Bee, deux compagnies long-courriers, Marc Rochet a répondu par l'affirmative.

"On y travaille", a-t-il lâché sans plus de précisions.

Les pilotes vent debout

Une telle déclaration constitue une véritable bombe, dont l'onde de choc, si le monopilotage voyait le jour, s'étendrait jusqu'à Air France. Car il est évident que cette dernière soit obligée de suivre si un jour ses concurrents se mettent à réduire la taille de leur équipage. L'écart de coûts entre un transporteur qui réduirait ses équipages et celui qui ne le ferait pas serait en effet considérable. Un tel scénario promet donc de fortes turbulences chez les pilotes. Les plus anciens se souviennent encore du bras de fer entre la direction d'Air France et ses pilotes dans les années 1980, quand le PDG de l'époque, Pierre Giraudet, avait voulu passer de 3 à 2 pilotes sur les B737 en supprimant le poste de mécanicien. Le débat sur la sécurité des vols avait été tellement animé que les négociations sur le sujet avaient duré plus d'un an.

Les pilotes sont déjà sur le pied de guerre. Réagissant ce jeudi au partenariat entre Cathay Pacific et Airbus, le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) a en effet déclaré qu'il était "opposé à la mise en place des opérations monopilotes telles que celles proposées par certains opérateurs" et qu'il "mettra tout en œuvre pour s'y opposer (...) car cette réduction conduirait à une diminution du niveau de sécurité du transport aérien".

"Si à certains moments et sur certaines lignes, le vol se déroule sans difficulté imprévue, la charge de travail peut effectivement être temporairement réduite. Il n'en demeure pas moins que l'idée récurrente consistant à vouloir réduire les coûts en réduisant le nombre de pilotes n'est pas réaliste et est surtout dangereuse. Le bilan économique global de ce projet n'est jamais présenté. De son côté, le SNPL pense que les économies ne doivent en aucun cas être faites en jouant sur la sécurité aérienne", a expliqué le syndicat dans un communiqué.

 Et d'ajouter :

Les technologies ont certes fait d'énormes progrès et c'est en partie grâce à ces derniers que la sécurité des vols s'améliore d'année en année, mais le haut niveau de sécurité atteint par l'industrie du transport aérien repose avant tout sur un pilier fondamental : la synergie et la surveillance mutuelle entre deux membres d'équipage. Ce haut niveau de sécurité est en effet indissociable de la présence en permanence au cockpit de deux pilotes entraînés et reposés, en état de vigilance et en capacité de reprendre les commandes à tout moment", fait valoir le SNPL.

La question de la sécurité est centrale. Sans même parler des cas de malaise des pilotes, le suicide en 2015 d'un pilote de Germanwings, qui s'est enfermé seul dans le cockpit avant de crasher l'appareil avec 144 passagers et cinq autres membres d'équipage à bord, est encore dans toutes les mémoires. A ce moment-là, l'AESA, l'agence de la sécurité aérienne, avait recommandé la présence de deux personnes dans le cockpit.

 Au-delà du volet sécurité, il y a aussi un volet social lié à la réduction de la taille de l'équipage. Le "Single Pilot Opérations" peut être, en effet, la dernière étape avant l'arrivée un jour de l'avion commercial sans pilote

Ici la vidéo du débat du Paris Air Forum avec la totalité des propos de Marc Rochet