Alimentation : comment créer un système de notation environnementale scientifiquement fiable et facilement compréhensible ?

Après une expérimentation d'un an et demi, le gouvernement doit prochainement soumettre au Parlement un rapport sur la notation environnementale des produits alimentaires. Mais les véritables décisions seront sans doute reportées, en raison de leur forte dimension politique.
Giulietta Gamberini
L'objectif est de créer un système de notation exprimant l'impact environnemental de tout produit. Il doit orienter la consommation, mais aussi la production, en incitant les fabricants comme les distributeurs à des démarches d'éco-conception.
L'objectif est de créer un système de notation exprimant l'impact environnemental de tout produit. Il doit orienter la consommation, mais aussi la production, en incitant les fabricants comme les distributeurs à des démarches d'éco-conception. (Crédits : Reuters)

Jusqu'ici, l'expérimentation aura duré plus de 18 mois. Depuis l'été 2020, l'Agence de la transition écologique (l'Ademe) copilote, avec les ministères de l'Agriculture et de l'Alimentation, de l'Economie et des Finances, ainsi que de la Transition écologique, des travaux visant l'instauration dans le secteur alimentaire d'un outil réclamé depuis longtemps par les défenseurs de l'environnement: l'affichage environnemental.

Après un appel à candidatures qui a abouti à la présentation de 18 projets expérimentaux portés par des acteurs très diversifiés du secteur, la réalisation d'études de consommateurs, des réflexions de groupes de travail thématiques et une synthèse du Conseil scientifique, le temps est venu du rapport final. Censé être soumis au Parlement avant la fin 2021, il le sera sans doute d'ici quelques semaines, assure l'Ademe. Son objectif est de dessiner les contours d'un dispositif harmonisé, fondé sur les enseignements tirés de l'ensemble de l'expérimentation, ainsi que de tracer une feuille de route pour les travaux encore à mener, a expliqué Flore Nougarede, ancienne cheffe du projet à l'Ademe, lors d'un webinaire organisé le 16 novembre par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Au-delà des quelques questions techniques toujours ouvertes, il est aujourd'hui surtout retardé par des arbitrages politiques s'avérant d'ores et déjà délicats.

Orienter la consommation et la production

Déjà évoqué lors du Grenelle de l'environnement, puis par la loi de la transition énergétique pour une croissance verte de 2015, l'affichage environnemental est aujourd'hui un dispositif volontaire encadré pour une trentaine de catégories de produits dont les aliments depuis fin 2013. En 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi Agec) a ouvert la voie au lancement officiel d'une expérimentation afin d'élaborer un dispositif harmonisé. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Loi climat) prévoit qu'à l'issue de l'expérimentation "l'affichage environnemental est rendu obligatoire".

L'objectif est de créer un système de notation aussi scientifiquement fiable que facilement compréhensible par les consommateurs, exprimant l'impact environnemental de tout produit. Il doit orienter la consommation, mais aussi la production, en incitant les fabricants comme les distributeurs à des démarches d'éco-conception. Son application aux produits alimentaires est particulièrement importante pour l'Ademe, puisque le secteur alimentaire "se caractérise par des actes d'achat fréquents et qu'il représente une part importante dans le budget (16 %, 2e poste de dépense des ménages derrière le logement) et dans l'empreinte carbone des ménages (environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre d'un foyer français)", note l'agence sur son site.

Les sondages menés autour des dispositifs déjà utilisés par quelques acteurs du secteur alimentaire montrent d'ailleurs l'ampleur des attentes des consommateurs français. Ainsi 88% des clients de Carrefour, qui depuis juin a appliqué aux 25.000 produits vendus sur son site l'Eco-score, système de notation développé par un collectif d'une dizaine d'acteurs du numérique dont l'appli Yuka, ont apprécié la démarche. 79% considèrent qu'il pourrait influencer leur consommation, et 84% souhaiteraient retrouver la notation imprimée sur les packagings des produits. Lors d'un bilan réalisé par Yuka en juin, un répondant sur deux a même affirmé avoir déjà renoncé à un achat à cause de son Eco-score.

Une base de données à compléter

Mais l'expérimentation menée jusqu'à présent révèle que, derrière ces attentes de plus en plus partagées, se cachent des enjeux bien plus complexes que prévu. Le point de départ de l'expérimentation, Agrybalise, la base de donnée de l'Adème qui analyse 2.500 produits alimentaires en fonction de 16 indicateurs construits selon l'approche scientifique de l'Analyse de cycle de vie (ACV), a en effet vite montré ses limites, explique Mathieu Saujot, chercheur à l'Iddri. Les principaux systèmes de notation développés par les participants à l'expérimentation y intègrent donc d'autres indicateurs, permettant de valoriser des enjeux "oubliés".

C'est le cas de l'Eco-score, qui complète Agribalyse par des bonus-malus en fonction des labels d'un produit, de son origine, du type d'emballage etc. Quant au Planet Score, élaboré par l'Institut technique de l'agriculture biologique (Itab) et soutenu par 16 associations, dont le Synabio, qui regroupe les entreprises de l'agroalimentaire bio, il va jusqu'à corriger partiellement Agrybalise et à expliciter des notes spécifiques sur la biodiversité, les pesticides, l'impact sur le climat et le mode d'élevage.

"Les limites de l'ACV sont justement les points sur lesquels l'agroécologie et l'agriculture bio se distinguent", explique Mathieu Saujot.

Des choix entre systèmes agro-alimentaires

Une étude menée par l'Iddri montre en outre que chaque méthode de notation reflète des choix sur les systèmes agroalimentaires qu'elle souhaite promouvoir. Si toutes les formes d'affichage environnemental proposées incitent à la réduction des protéines animales au profit des protéines végétales, elles préconisent toutefois des hiérarchies entre produits d'origine animale différentes. "Par exemple, la proposition du Planet-score , qui s'inscrit dans une vision agroécologique de la transition, incite plus à la consommation de viande bovine issue de pratiques d'élevage extensif que ne le fait l'Eco-score. L'agroécologie vise en effet à s'affranchir le plus possible des engrais azotés - d'où la contrainte de maintenir un élevage bovin extensif pour les apports en engrais organiques qu'il permet - et accorde une place importante à la préservation de la biodiversité issue des prairies permanentes (paysage qui là encore, dépend de l'élevage extensif)", explique l'Iddri sur son site.

"La discussion méthodologique sur l'AE reflète l'un des principaux débats sur la transition agricole: d'un côté, une bifurcation vers un modèle agroécologique plus extensif, qui privilégie notamment la complémentarité entre les cultures animales et végétales pour s'affranchir des engrais azotés; de l'autre, une relative continuité avec le système intensif actuel", continue l'Iddri.

"Il s'agit de deux visions différentes présentant chacune des avantages et des inconvénients, et dont il faut débattre", observe Mathieu Saujot.

Un débat qui, en induisant des choix entre diverses priorités environnementales, intègre toutefois inévitablement une profonde dimension politique.

Des enjeux sensibles à quelques mois de la présidentielle

L'Iddri espère que cette lucidité sur les enjeux réduira "le risque d'une multiplication des dispositifs d'affichage, voire d'un report de sa mise en œuvre, comme cela a été le cas dans le passé", car "repousser une nouvelle fois l'opérationnalisation de l'affichage environnemental serait contraire au besoin urgent de transition ainsi qu'à la demande sociétale". Mais, pour l'instant, cette dimension politique semble bien être ce qui induit retards et compétition.

Les arbitrages du gouvernement seraient entre autre repoussés par l'absence d'accord sur la prise en compte de l'impact des pesticides sur la santé humaine dans le futur calcul du score environnemental, a en effet écrit en novembre le site Circuits bio. Les difficultés dans l'élaboration d'une Plan stratégique national de la PAC prouvent d'ailleurs l'absence en France de tout consensus sur les visions d'avenir de l'agriculture et de l'alimentation. A quelques mois de la présidentielle, l'exécutif préfère éviter de se positionner sur des enjeux si sensibles. Le rapport sera donc probablement un simple bilan d'étape, et la réflexion prolongée.

Une dynamique lancée

Entre-temps, les expérimentations se multiplient, et les partisans des divers modèles font leur lobbying. Alors que l'Eco-score est déjà utilisé non seulement par Carrefour France, mais aussi par le distributeur belge Colruyt et par Lidl dans différents pays européens, le Planet-score l'est désormais par une trentaine de fabricants et une quinzaine d'enseignes sur internet. Ce dernier a aussi reçu le soutien de l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev), qui est allée jusqu'à écrire au Premier ministre pour l'alerter quand aux conséquences potentielles de la méthode choisie pour l'affichage environnemental.

Ces mois supplémentaires permettront toutefois non seulement d'approfondir la réflexion, mais aussi d'engager la pédagogie des consommateurs, soulignent plusieurs experts.

"Et une fois la dynamique lancée, il sera difficile de proposer à l'arrivée un affichage peu ambitieux", espère Mathieu Saujot, pour qui des avancées sont désormais acquises: intégration de la biodiversité dans la notation, son caractère prescriptif  et sa simplification.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 07/01/2022 à 7:54
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Pour pouvoir il faut déjà vouloir or il est évident que la finance ne veut pas gagner moins d'argent, jamais.

à écrit le 06/01/2022 à 10:08
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Il y a bien une solution, c'est d'interdire tous les additifs, conservateurs et toutes les boissons sucrées, Coca Cola en tête.

le 06/01/2022 à 12:56
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Gardes ! Emparez vous immédiatement cet individu ! ^^

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