CBD, bâtiment, hydrogène : La France découvre les super-pouvoirs du chanvre

Auxiliaire de la décarbonation et plante multi-produits, le chanvre fait son grand retour dans les champs à la faveur de l’engouement pour les ingrédients naturels. Avec 20.000 hectares en culture, cinq fois plus qu’en 2017, la France occupe la pole position dans l’UE. La filière se réinvente grâce au secteur du bâtiment, du textile, de la cosmétique ou de la plasturgie mais attend toujours que le gouvernement clarifie sa position sur la fleur de chanvre dont on tire le CBD, importée massivement du reste de l’Europe. Sa production - lucrative - reste prohibée dans l’hexagone.
Les surfaces plantées en chanvre ont triplé en trois ans dans le monde et quintuplé en France.
Les surfaces plantées en chanvre ont triplé en trois ans dans le monde et quintuplé en France. (Crédits : DR)

100.000 hectares plantés dans le monde en 2017, 300.000 en 2020. Il n'est plus permis d'en douter. Alors que sa culture avait été quasiment abandonnée dans les années 50, le chanvre dit agricole ou industriel (par opposition à celui dont on tire le psychotrope) creuse à nouveau son sillon. Et pas seulement sous nos latitudes. En tête des pays producteurs de cannabis sativa, son nom savant, on trouve... la Chine. La plante qui y poussait sur 45.000 hectares il y a trois ans, en occupe désormais 70.000 et est appelée à gagner du terrain. L'Empire du milieu s'est, en effet, donné pour objectif d'en semer sur un million d'hectares pour émanciper son industrie textile des fibres naturelles importées, le lin en particulier.

Le chanvre effectue aussi un come back spectaculaire au pays du jean Levis (50.000 hectares entre les USA et le Canada) du fait de l'envolée du marché du Cannabidiol ou CBD. En Europe, deuxième zone de culture derrière la Chine, la poussée est encore plus forte : la production a quasiment doublé depuis 2017 notamment en France où les surfaces plantées ont été multipliées par cinq au cours de la même période jusqu'à atteindre 20.000 hectares. S'il ne s'agit que d'une goutte d'eau dans l'océan de la surface agricole utile, la progression n'en est pas moins remarquable. Signe de regain d'intérêt : le prochain congrès national du chanvre aura lieu les 14 et 15 février prochain au Sénat.

Les mille vertus d'une cannabacée

Le green deal qui s'impose à l'agriculture n'est pas étranger au retour en grâce de cette plante de la famille des cannabacées qui obéit à tous les commandements de l'agro-écologie. Petit miracle agronomique, on ne lui connaît aucun ravageur ni maladie si bien qu'elle atteint facilement 2,50 mètre de haut sans irrigation, ni pesticides, ni fongicides. De pousse rapide, c'est un excellent puits de carbone : un hectare planté absorbe autant de CO2 qu'un hectare de forêt. De plus, ses racines profondes nettoient la terre en faisant remonter les nutriments à la surface. Le blé planté à sa suite - on parle alors de blé de chanvre - affiche ainsi un rendement supérieur de 5 à 10%.

En matière de débouchés, cette cousine du houblon est une cumularde. Comme dans le cochon, tout est bon dans le chanvre qui revendique « le zéro déchet ». De la hampe à la tige (dite chènevotte) en passant par les feuilles et la graine, rien ne se perd tout se transforme. Si la France, au contraire de ses voisins européens, interdit la culture de la fleur dont est issu le CBD en arguant du risque de confusion avec celle du psychotrope, la papeterie et les fabricants de paillage utilisent, depuis longtemps, ses fibres et sa chènevotte. Depuis quelques années, d'autres secteurs engagés dans la course à la décarbonation s'intéressent à son potentiel.

Une plante, des produits

La cosmétique, par exemple, se montre friande de l'huile extraite de la graine (alias chènevis) d'une composition très proche des lipides de la peau. Le boom du bio aidant, le chènevis se taille doucement une place dans l'alimentation humaine, notamment sur les marchés des seniors et des sportifs (des tests sont élaborés pour les athlètes des JO 2024). « C'est un super aliment sans gluten et riche en micronutriments rares, répondant à toutes les exigences de la loi Egalim qui s'imposera en restauration collective en janvier prochain » vante Nathalie Fichaux, déléguée générale d'Interchanvre.

La fibre du chanvre se fraie également un chemin dans la plasturgie où son caractère renouvelable, sa légèreté et sa performance technique en font un bon substitut à la fibre de verre.

Mais, outre le CBD pour l'instant suspendu à la décision de l'Etat, c'est surtout dans l'écoconstruction et le textile que la filière peut espérer améliorer sa chaîne de valeur. Dans ces deux domaines, les progrès techniques font des pas de géant. Côté bâtiment, le premier éco-quartier partiellement construit en béton de chanvre vient d'être inauguré à Trilport en Seine-et-Marne. En Bretagne, c'est pour le siège du groupe agro-alimentaire Triballat qu'ont été mis en œuvre les premiers murs préfabriqués en béton de chanvre, ouvrant la voie à un changement d'échelle.

Dans le textile, un pas vient d'être franchi en Normandie cet été, avec la validation d'un prototype de machine permettant de récolter les fibres longues du chanvre qui pourront être transformées chez les filateurs de lin à l'affut de nouvelles matières premières. « Nous avons fait sauter un important verrou technique qui devrait nous permettre de répondre à la demande croissante de fibres naturelles », se félicite Henri Pomikal, président de la Coopérative linière du Nord de Caen à l'origine de l'expérimentation.

Un débouché dans l'hydrogène ?

Plus inattendu, le cannabis sativa pourrait aussi trouver un débouché dans la production d'hydrogène vert grâce à une jeune société sarthoise Qairos Energie. Celle-ci a mis au point un procédé de gazéïfication novateur permettant de produire, à partir du chanvre, de l'hydrogène ou du méthane de synthèse. Et ce sans déchet ultime. « Le chanvre pousse tellement vite qu'il fournit un gaz beaucoup plus propre que les autres types de biomasse. Il ne contient que 0,1% d'impuretés contre 5% pour le bois par exemple », explique Jean Foyer, président et fondateur de l'entreprise.

Un premier démonstrateur industriel du procédé, alternative à l'électrolyse, va voir le jour à Trangé dans la Sarthe moyennant un investissement d'une vingtaine de millions d'euros. En attendant le développement des usages de l'hydrogène, le méthane produit à partir de cultures locales sera injecté dans le réseau de l'agglomération du Mans grâce à un partenariat conclu avec GRDF. Jean Foyer voit grand. Il imagine construire 200 unités du même type en France. « Le coût de notre hydrogène sera équivalent à celui produit à partir des fossiles », assure t-il. Sans doute n'a t-on pas fini de découvrir les super-pouvoirs du chanvre.

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Commentaires 4
à écrit le 19/12/2021 à 14:44
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Le chanvre, ou le chanvre indien ? A haute dose, le haschich rend fou, c'est bien connu.

à écrit le 17/12/2021 à 20:30
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Le concept arbolit existe depuis belle lurette dans des pays moins compliqués que la france où tout doit être normé, certifié, accrédité, contrôlé, réprimé, soumis a des dizaines de textes avec tout plein de gens en bons bullshits jobs pour vérifier ...

à écrit le 17/12/2021 à 14:57
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Usage textile oui, pour faire les sacs à pommes de terre et à billets de banque mais le plastique est arrivé et a tout remplacé, on a donc arrêté de cultiver la plante. Elle a pourtant des vertus, pas d'intrants, fait de l'ombre aux mauvaises herbes,...

à écrit le 17/12/2021 à 13:09
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Ce rejet de la légalisation totale du cannabis reste un mystère, certains disent que c'est notre héritage catholique, d'autre que ça mettrait le feu aux cités mais plus ça va et plus je pense que justement étant une plante miracle elle fait forcément...

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