
L'échéance est très courte: en 2024, à l'occasion des Jeux olympiques hébergés par la capitale, Paris a promis de devenir l'une des premières villes sans plastique jetable. Eau de Paris, son entreprise publique d'eau, compte apporter sa pierre à l'édifice. Depuis juin, la régie autonome travaille donc avec l'ONG Surfrider Foundation Europe et l'entreprise parisienne de gourdes Gobi autour du défi de l'éradication des bouteilles à usage unique et de la généralisation de la consommation d'eau du robinet. Depuis septembre, elle réunit l'ensemble des acteurs concernés (institutions publiques, associations, entreprises, usagers) autour de cinq groupes de travail incarnant les principaux chantiers: hôtellerie et restauration, événements sportifs et culturels, établissements scolaires et hospitaliers, usagers de l'espace public, administrations et bureaux.
Chiffre d'affaires et gestes de courtoisie
Jusqu'à présent, ces réunions ont surtout servi à identifier les freins à cette transformation, a expliqué le directeur général d'Eau de Paris, Benjamin Gestin, lors du Change Now Summit, rassemblement d'initiatives à impact positif qui s'est tenu à Paris du 30 janvier au 1er février. Quelques-uns sont communs aux différents domaines d'action. C'est notamment le cas des difficultés logistiques: supprimer les bouteilles d'eau implique de les remplacer par des contenants réutilisables (carafes et verres) qui doivent ensuite être lavés. Mais c'est aussi le cas de l'obstacle culturel: nombre de Parisiens se méfient de l'eau des fontaines, et encore plus de celle du robinet des toilettes, qui pourrait servir à remplir ses propres gourdes ou bouteilles réutilisées. Les touristes viennent souvent de pays où il est déconseillé de boire de l'eau non embouteillée.
Quelques défis sont aussi spécifiques à chaque secteur. Ainsi, dans la restauration, proposer de l'eau du robinet implique de renoncer au chiffre d'affaires lié à la vente des bouteilles. Dans l'hôtellerie, les clients ont pris l'habitude de trouver une bouteille dans leur chambre. Quant aux événements, des points d'eau ne pas présents sur tous les sites, sans compter que les normes de sécurité interdisent souvent d'apporter avec soi une gourde munie de bouchon. Dans les écoles, le personnel s'interroge sur comment éviter les bouteilles lors des sorties scolaires, alors que dans les hôpitaux l'eau pétillante fait parfois partie du régime facilitant la digestion de certains patients. Dans les universités, la bouteille d'eau figure parmi les gestes de courtoisie vis-à-vis des intervenants aux conférences. Et dans certains bureaux équipés de matériel technique, les carafes ouvertes font peur...
Une demande croissante de solutions "zéro déchets"
Plusieurs leviers ont toutefois aussi émergé des comités de travail, souligne Eau de Paris. Le premier est la demande croissante de solutions "zéro déchets" par les clients/ usagers comme par le personnel dans tous les secteurs. Paris compte en outre 1.200 fontaines: bien qu'encore visiblement trop peu connues, elles constituent le "réseau de fontaines urbaines le plus riche au monde", souligne Benjamin Gestin. Et les technologies permettant de mettre en place des fontaines temporaires dans des lieux particuliers, évolue, comme d'ailleurs l'offre de contenants nomades (gourdes etc.).
Le contexte réglementaire et contractuel est d'ailleurs de plus en plus favorable à la réduction des déchets en plastique. L'objectif commence à apparaître dans les cahiers des charges des marchés publics. Et la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, adoptée fin janvier, contient diverses dispositions susceptibles de soutenir la démarche de la ville de Paris.
La distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public et dans les locaux à usage professionnel sera interdite dès 2021. Dès 2022, des fontaines publiques d'eau potable gratuite devront être mises en places dans les lieux d'accueil du public. À partir de la même année, les restaurateurs seront tenus de donner gratuitement de l'eau du robinet aux clients. Les gobelets jetables sont d'ailleurs interdits depuis le 1er janvier 2020.
Quatre étages d'un hôtel privés de bouteilles
Vers la moitié de l'année, Eau de Paris espère être en mesure de formuler de premières recommandations sous la forme d'un livre blanc. Mais un ensemble d'expérimentations sont déjà à l'ordre du jour. La première sera lancée dès février, en partenariat avec l'hôtel Novotel Paris Centre Tour Eiffel. Pendant plusieurs semaines, dans quatre étages, les bouteilles en plastique seront supprimées. Deux solutions alternatives seront proposées: soit des bouteilles en verre d'eau filtrée, soit de simples verres pour se servir de l'eau du robinet. La démarche sera accompagnée d'explications. Et des gourdes seront mises à disposition des clients dans l'hôtel.
Eau de Paris mènera également des expérimentations dans le domaine sportif. En partenariat avec l'Accor Hotel Arena, elle espère faire des Championnats d'Europe de gymnastique artistique féminine, qui se tiendront du 30 avril au 3 mai 2020, la première compétition sportive internationale "avec des athlètes zéro bouteille plastique". Avec l'Agence parisienne du climat, elle compte également expérimenter l'élimination d'une compétition pour amateurs - encore non déterminée - de tout plastique à usage unique. Quant au domaine culturel, l'abandon des bouteilles sera testé au Carreau du Temple.
Inventer la "fontaine universelle du XXIe siècle"
Dans les entreprises, deux actions sont prévues: chez Schneider Electric, où seront mises en place des fontaines, et chez Radio France, où il s'agira d'évaluer quels types de contenants permettraient d'éviter les bouteilles en plastique dans les salles de réunion. Dans le quartier des 2 rives, situé dans les 12e et 13e arrondissement, on tentera en outre de supprimer l'eau en bouteilles des formules déjeuner des commerces locaux.
Dans l'espace public, l'objectif est de lancer un projet d'habillage des fontaines visant à les rendre plus visibles, mais aussi un appel à solutions innovantes afin d'inventer la "fontaine universelle du XXIe siècle", répondant aux enjeux du changement climatique. Eau de Paris compte également mener une réflexion sur comment partager les données sur la qualité de l'eau avec les Parisiens: aujourd'hui, sur le site de l'entreprise, ils peuvent juste connaître la localisation des fontaines et leur disponibilité.
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