« Est-ce le meilleur moment pour faire revenir les États-Unis dans l'Accord de Paris ? »

TROIS QUESTIONS À. Bien que l'élection de Joe Biden soit une "excellente nouvelle" pour les défenseurs du climat, le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris annonce plusieurs difficultés, estime le chercheur et membre du Giec François Gemenne, qui met en garde contre « l'enthousiasme béat » suscité par cette annonce.
Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris.
Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris. (Crédits : KEVIN LAMARQUE)

En plein décompte des voix de l'élection présidentielle américaine, Joe Biden a fait une promesse : s'il est élu, il enclenchera le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris. Cette promesse ne pourra se concrétiser que le jour de son investiture cependant, soit le 20 janvier prochain.

Cette déclaration est intervenue le 5 novembre, soit un jour seulement après la sortie officielle des États-Unis de l'Accord. Le départ avait été initié dès le 1er juin 2017 par Donald Trump, régulièrement accusé de climato-scepticisme.

Le 1er juin 2017 en effet, le président républicain annonçait le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris - héritage de l'ère Obama -, arraché deux ans plus tôt à l'occasion de la COP21. Cette décision a provoqué, dans le monde entier, des réactions consternées, de la Chine à la Russie, en passant par la France.

Un jour seulement après l'annonce fracassante de Donald Trump, Laurent Fabius, ex-président de la COP21, déclarait dans un tweet assassin : "Cette décision est une faute historique majeure, contre la planète, contre l'humanité, justifiée par des mensonges."

La promesse, faite par Joe Biden, de réintégrer l'Accord de Paris, a logiquement suscité un sentiment de soulagement du côté des défenseurs du climat. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle et surtout le bon moment ?

Pour François Gemenne, chercheur en science politique, spécialiste du climat et des migrations, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et professeur à l'Université de Liège, la prudence est de mise. Selon lui, la puissance de cet accord réside, justement, dans sa promesse de stabilité face aux aléas politiques.

Lire aussi : Climat : avec Biden, un vrai retour des Etats-Unis dans l'Accord de Paris ?

LA TRIBUNE - Dans la presse, vous ne cachez pas votre scepticisme quant au retour annoncé des États-Unis dans l'Accord de Paris. Ce n'est, selon vous, pas forcément une bonne chose. Pour quelles raisons ?

FRANÇOIS GEMENNE - C'est évidemment un signal positif, qui marque une certaine forme de réengagement de la part des États-Unis dans la coopération internationale. Mais, derrière cet enthousiasme un peu béat - bien que compréhensif - se cachent plusieurs difficultés.

La première, c'est de lier le processus de négociation internationale, et donc le processus de coopération internationale, aux élections américaines. Parce que, si les États-Unis reviennent aujourd'hui, cela sous-entend qu'ils pourraient en ressortir demain, comprendre en 2024, si un nouveau président républicain était élu. Ces potentiels va-et-vient seraient un signal terrible envoyé aux entreprises et aux marchés, car ce serait un signal d'instabilité. Or, l'enjeu principal de l'Accord de Paris, c'est justement d'envoyer un signal fort, de stabilité et de long terme, y compris aux entreprises et aux marchés.

Le deuxième risque que je vois, c'est la difficulté d'aller vers des mécanismes contraignants. L'Accord de Paris est un accord politique, déclaratif, qui ne contient aucun mécanisme de contrainte, de sanction. Or, nous avons que les États-Unis, de tout temps, et y compris sous administration démocrate, ont toujours été très réticents à l'idée d'instaurer des mécanismes contraignants. À l'inverse, ils ont toujours essayé de tirer vers le bas le niveau d'ambition de la coopération internationale. A l'occasion de la COP26 [qui a été reportée à novembre 2021, Ndlr], il va falloir redoubler d'ambition et potentiellement se mettre d'accord sur des mécanismes plus contraignants. Est-ce vraiment le meilleur moment pour faire revenir les États-Unis à la table des négociations, même sous administration Biden ?

Enfin, il y a un risque que le réengagement américain dans la coopération internationale et ces effets d'annonce ne masquent en réalité une action assez faible sur le plan fédéral. D'une part, si les républicains conservent la majorité au Sénat, ils risquent de bloquer de nombreuses mesures prises par l'administration Biden. D'autre part, aux États-Unis, un certain nombre de leviers se trouvent dans les mains des maires et des gouverneurs. Le président seul ne peut pas tout. Au contraire, l'action provient bien souvent des villes et des États.

À plusieurs reprises, Joe Biden s'est opposé à Donald Trump sur le sujet du climat et du réchauffement climatique. Le duo Biden-Harris a annoncé un plan de 1.700 milliards de dollars pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. L'élection du candidat démocrate n'est-elle pas, malgré tout, une bonne nouvelle pour les défenseurs du climat ?

Si, c'est une excellente nouvelle. D'abord parce que la politique que mènera l'administration Biden ne pourra pas être pire que celle menée par l'administration Trump. Donald Trump a essentiellement détricoté tout ce que l'administration Obama avait mis en place, donc on peut s'attendre à ce que Joe Biden enclenche un mouvement inverse. Nous pouvons par exemple espérer qu'il refinancera le volet climat de la Nasa, coupé par Donald Trump*. Par ailleurs, le fait que Joe Biden ait nommé John Kerry au poste de représentant spécial pour le climat est une bonne chose. Bref, il y a toute une série d'annonces réjouissantes.

Un bilan collectif de l'Accord de Paris doit être fait tous les cinq ans. Nous y sommes. Quel est votre bilan personnel ?

Jusqu'ici, nous en sommes resté à des déclarations d'intention, qui ont été peu suivies d'effets. Cela ne veut pas dire que rien n'a été fait mais, très clairement, nous en sommes toujours au stade de la "résolution du nouvel an".

Ceci étant dit, je suis plus optimiste aujourd'hui que je ne l'étais il y a trois mois. Car il y a une série d'annonces intéressantes qui ont été faites ces derniers mois. Le plan de relance européen, l'élection de Joe Biden, et l'annonce, par la Chine**, de revoir à la hausse ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique - une annonce suivie par d'autres, de la part du Japon et de la Corée du Sud - en font partie.

Par ailleurs, il y a un autre événement marquant qui suscite l'optimisme : le mouvement des jeunes pour le climat. Autant, en 2015, [année de la signature de l'Accord, Ndlr], la question du climat était vue essentiellement comme une question un peu technique, autant aujourd'hui elle est entrée, grâce à cette mobilisation, de plein pied en démocratie.

Propos recueillis par Ivan Capecchi

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*En 2018, la revue Science révèle que l'administration Trump a décidé de supprimer un programme de la Nasa, le Carbon Monitoring System, destiné à surveiller dans l'atmosphère le dioxyde de carbone et le méthane.

**En septembre dernier, à l'occasion d'un discours du président chinois Xi Jinping devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, la Chine s'est engagée à atteindre la neutralité carbone d'ici 2060.

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Commentaire 1
à écrit le 14/12/2020 à 16:25
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L'accord de Paris ne résolvant rien si ce n'est la communication de l'oligarchie mondiale, il est bien évident que si ça nous fait plaisir Biden le signera mais sinon ils ont bien d'autres chats à fouetter lui et ses conseillers.

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