Jean Moreau : « Avec Phenix, on a fondé la banque alimentaire 2.0 »

Il fait partie de cette génération de jeunes dirigeants qui ont choisi de donner du sens à leur métier, de créer une entreprise responsable et engagée. Depuis 2014, avec sa société Phenix, Jean Moreau s’impose dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

Un bureau empli de plantes vertes et de jeunes. Façon sans doute un peu étrange de décrire un lieu, mais cette première impression, frappante, raconte en grande partie le destin particulier de Jean Moreau.

Dans cet endroit niché au cœur d'un quartier populaire de Paris, il dirige Phenix, société cofondée avec Baptiste Corval en 2014 et qui s'est imposée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Des plantes donc pour mieux renouveler l'oxygène. Symboliquement, difficile de faire mieux quand il s'agit d'évoquer l'énergie entrepreneuriale et ce besoin d'innover de la part du patron âgé de 38 ans.

Des études, très sérieuses, estiment par ailleurs qu'un environnement de travail végétalisé ferait baisser l'absentéisme de 10 %... Malin. Au milieu des ficus et autres fougères donc, on devine les salariés. Moyenne d'âge : 27 ans. Avec son allure décontractée, sa silhouette élancée et sa barbe de trois jours, Jean Moreau ferait presque office de grand frère face à cette génération de jeunes salariés déterminés à s'engager dans une entreprise solidaire. Sans doute l'est-il un peu, mais il sait surtout que sur ses épaules reposent des enjeux de taille : 230 personnes à manager. Une responsabilité sociale et solidaire à assumer 365 jours de l'année.

Avec enthousiasme, il évoque le développement de l'entreprise. La création, au départ, d'une plateforme numérique destinée à mettre en relation la grande distribution, les producteurs, les industriels avec les associations et différentes banques alimentaires pour gérer au mieux les invendus. La naissance, ensuite, d'une application pour les particuliers qui peuvent récupérer à moindre prix chez leurs commerçants tout ce qui pourrait partir à la poubelle.

Et puis, il y a désormais « Nous », un réseau de 22 épiceries anti-gaspi partout en France, et générateur d'emplois. Plus de 200 !

Résultats ? 44 millions de repas sauvés en 2020. 10 000 commerces et 1 500 associations impliquées au quotidien. La volonté acharnée, surtout, de Jean Moreau de réduire le montant annuel du gaspillage alimentaire en France qui s'élève à... 16 milliards d'euros !

Le déclic

Jean Moreau n'a pas eu de révélation. Il ne s'est pas levé un matin en se disant « et si je changeais le monde ? ». Son déclic ressemble plutôt à une lente maturation... De son parcours, il retient trois dates.

Juin 2001, l'après baccalauréat. « Je fais le choix d'intégrer une classe prépa. Je sais que cela va être exigeant, difficile. »

Septembre 2006, diplômé de l'Essec, l'homme est heureux de ce début de parcours, et lucide : « Je perçois très vite que je n'ai pas l'âme d'un businessman. À ce moment-là, j'ai deux possibilités : partir un an en Australie dans le cadre d'un échange universitaire ou me diriger vers Science Po. Je prends la seconde solution ». Au sein de la grande école parisienne, Jean Moreau rencontre des personnes aux profils différents, et loue alors l'intensité intellectuelle qui rythme son quotidien.

Il ne restait qu'un pas à franchir. Direction une grande banque d'affaires comme premier job. Logique. Simple et basique presque pour Jean Moreau. Il raconte avec sincérité ce métier « prestigieux », bien payé. On devine derrière ses mots une vie de fric, un peu bling-bling.

Six années intenses donc et une petite musique qui se fait entendre. « Il n'y a pas eu de pétage de câble, mais une prise de conscience qui se forme au fil des années » dit-il. L'absence de sens le taraude. Il se souvient avoir toujours rêvé d'un parcours plus original que celui auquel il se destinait. « Je suis l'aîné d'une famille de quatre enfants, très bon élève. Je cochais toutes les cases. Mais moi, j'imaginais un chemin plus atypique. » Alors, malgré l'incompréhension de la famille et des copains, il quitte la banque, se jette à corps perdu dans un tas de lectures philosophiques, tourne et retourne une question « C'est quoi une vie réussie ? ».

« En fait, j'ai fait un constat : je me plaignais en permanence. Et j'avais très envie d'arrêter de pleurnicher. Je me suis demandé si je ne faisais pas un caprice de sale gosse ou une crise d'adolescence retardée. C'est sans doute un peu le cas. Je suis un éternel insatisfait » reconnaît-il en souriant. Adieu les boulots au FMI, à l'ONU et autres grandes institutions internationales auxquels il pouvait légitimement prétendre. Jean Moreau a besoin d'action, d'entreprenariat et... de sens. Troisième date : 2014. Phenix naît.

L'engagement

Après une première année à devoir expliquer à chaque acteur le bien-fondé de Phenix, sa société devient un rouage déterminant de la lutte contre le gaspillage alimentaire en France. En quelques mois, Jean Moreau et son associé ont réussi à convaincre. « On fonde la banque alimentaire 2.0. » raconte-t-il avec une once de fierté des plus compréhensibles.

« À nous de montrer qu'on est bien intentionnés, qu'on peut apporter une valeur ajoutée aux donneurs et aux récepteurs. Et surtout, à nous de faire comprendre aux géants de la distribution notamment que c'est simple de donner, aussi simple que de jeter un truc à la poubelle. »

Les « hyper » s'y retrouvent. Plutôt que de payer un prestataire pour gérer les invendus, ils se tournent vers Phenix, et ce, avant même l'instauration de la loi Garot qui interdit notamment de détruire des aliments ou de les rendre impropres à la consommation. Cette gestion de tonnes d'invendus constitue l'activité principale de Phenix. « Je n'imaginais pas que cela irait si vite et que, par ailleurs, je serais légitime à diriger une telle entreprise » concède Jean Moreau. « Je ressens de la fierté d'avoir créé cette équipe familiale, une boîte à mi-chemin entre l'entreprise capitaliste classique et l'ONG. »

Son engagement se précise et dépasse l'action engagée avec Phenix. Il intègre, entre autres, la communauté B corps, label octroyé à des sociétés répondant à des exigences sociétales et environnementales.

Le mot « impact » martèle ainsi les phrases de Jean Moreau qui regarde d'un œil enthousiaste l'émergence d'entrepreneurs responsables, « un autre MEDEF plus engagé » dit-il.

Le monde en 2050 ?

Jean Moreau n'est pas du genre à tourner autour du pot quand on lui demande comment il imagine sa vie en 2050. Encore investi et attentif au développement de Phenix, notamment à l'international, il dit : « Je quitterai Phenix un jour, c'est certain. Mais j'aurai du mal à trouver un projet si fort. Peut-être que je replongerai dans une telle aventure dans un autre secteur : l'école, la formation... ». Il réfléchit et complète sa réponse : « J'aimerais bien transmettre aussi mes connaissances dans l'univers de l'investissement, me mettre au service d'un maxi-incubateur qui travaillerait sur une thématique en particulier ». Sur un plan plus personnel, il affirme avoir beaucoup changé ces dernières années. « En 2050, je serai sans doute content et fier de raconter à mes deux enfants ce que j'ai fait. Combien j'ai évolué quant à mon rapport à l'argent, à la consommation. »

Un chef d'entreprise heureux qui reconnaît toutefois avoir encore quelques coups de blues. « Quand ça arrive, un petit déj aux Restos du Cœur, avec les bénévoles et les bénéficiaires, ou la lecture des commentaires de notre action sur Facebook me redonnent un coup de fouet. Je mesure l'impact social de Phenix et c'est une immense satisfaction. »

Avant de le quitter, on lui demande quel est le dernier objet qu'il a acheté. Il sourit. Répond « un iPhone ». Avant de préciser dans la foulée comme pour s'excuser : « C'est mon premier outil de travail ». On veut bien le croire.

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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