« Je suis plus optimiste sur une possible croissance alternative » (Nicolas Stern)

Économiste réputé et professeur à la London School of Economics, l'auteur du « rapport Stern » revient pour La Tribune sur les conclusions de « Better growth, better climate », une nouvelle étude sur le lien entre croissance et changement climatique, parue à l'automne.
Nicolas Stern se félicite des progrès plus rapides qu'anticipé et des baisses de coûts dans les énergies renouvelables.

En 2006, son rapport sur l'économie du climat, qui pour la première fois chiffrait le coût de l'inaction face au changement climatique, avait jeté un pavé dans la mare. Un nouveau rapport, rédigé sous la houlette de l'ancien président mexicain Felipe Calderon et rendu public à la veille du sommet sur le climat organisé par l'ONU à New York en septembre dernier, étudie à nouveau le lien entre croissance économique et lutte contre le changement climatique.

Immensité des risques

Nicolas Stern, qui a contribué à la rédaction de « Better growth, better climate, the new climate economy report » et préside le panel d'économistes qui l'ont encadrée, en résume le propos : investir dans une « meilleure croissance » permettrait de faire des progrès significatifs pour endiguer les risques liés au changement climatique et donc contribuer à créer un « meilleur climat ». Et c'est maintenant qu'il faut agir, à l'heure où l'économie mondiale est chamboulée par la montée en puissance des pays émergents, l'urbanisation galopante et la forte croissance démographique. Les choix les plus structurants concernent les villes, les systèmes énergétiques et l'utilisation des sols.

Quoi de neuf depuis la publication du rapport Stern ? « La situation est devenue encore plus inquiétante, avec une hausse des émissions de CO2 encore plus rapide et des effets du changement climatique plus perceptibles que prévu. »

L'économiste souligne l'immensité des risques liés au changement climatique, notamment ceux, encore peu traités dans la littérature sur le sujet, concernant les déplacements de populations et les conflits qui pourraient en découler. Il insiste aussi sur son caractère inéquitable, qui frappera plus durement les pays pauvres et les populations défavorisées, alors que les pays développés sont responsables de l'immense majorité du stock de carbone déjà présent dans l'atmosphère. « Ils doivent donc montrer l'exemple et partager leurs technologies à bas carbone avec les pays en développement », martèle-t-il.

La chine: entre risques et opportunités

À ce sujet, Nicolas Stern se félicite des progrès plus rapides qu'anticipé et des baisses de coûts qui les ont accompagnés, notamment dans les énergies renouvelables. Autre motif de satisfaction : une meilleure compréhension des enjeux. Il attribue cette évolution à plusieurs facteurs, et d'abord au lien de plus en plus évident entre combustion des énergies fossiles (charbon en tête), pollution et santé publique. Une pollution qui a un coût, estimé à 6 % du PIB en Allemagne, 4 % aux États-Unis, 10 % en Chine... L'évolution de cette dernière, reflétée par une déclaration commune sur les engagements respectifs avec les États-Unis à la veille du G20 de Brisbane en novembre dernier, est à ses yeux l'un des changements les plus importants. « Cela signifie que les deux pays [42 % des émissions mondiales, ndlr] sont prêts à partager leurs plans. » Côté chinois, ce changement d'attitude est lié aux risques spécifiques encourus par le pays (santé, zones côtières menacées, stress hydrique, etc.), mais aussi aux atouts des entreprises chinoises, qui leur permettent de s'arroger une part croissante du « green business mondial ». « Dans le même temps, regrette Nicolas Stern, l'Europe s'est fait totalement distancer, en levant le pied sur ces recherches pendant la crise et en ratant des opportunités. »

Instaurer un prix du carbone

Le temps passé a également permis des retours d'expérience sur des outils tels que le marché européen du carbone, qui n'a pas encore fait la preuve de son efficacité (lire l'encadré ci-dessous). Nicolas Stern n'attribue à la crise économique qu'une infime responsabilité dans son dysfonctionnement, plus lié selon lui à un manque de visibilité des acteurs européens. Et d'insister sur la nécessité de politiques stables réduisant l'incertitude pour les industriels, les particuliers et les investisseurs. Néanmoins, instaurer rapidement un prix du carbone reste l'une des mesures phares préconisées par le rapport, que ce soit via le marché ou via une taxe, quitte à commencer bas mais avec un mécanisme transparent permettant d'anticiper la hausse...

Face à ces différentes évolutions, l'économiste l'affirme :

« Je suis plus optimiste qu'à l'époque du "rapport Stern" sur la possibilité d'une croissance alternative, plus propre, plus lente, plus sûre et moins énergétivore, à condition d'une meilleure organisation et d'une plus grande intelligence politique.»

Des villes plus connectées et compactes ; une meilleure efficacité énergétique ; la disparition des centrales à charbon ; des énergies distribuées et renouvelables ; des forêts mieux gérées... le rapport recommande de nombreuses actions assorties d'une meilleure sécurité énergétique et alimentaire, moins de pression sur l'eau, une meilleure qualité de l'air, une meilleure santé et... une meilleure croissance.« De telles actions auraient un sens sur le plan économique sans même prendre en compte leur effet sur le climat proprement dit », affirment ses auteurs.

Un coût qui peut rapidement tripler

Mais le temps presse, insiste Nicolas Stern : « Si nous prenons les bonnes décisions en termes d'investissements ces vingt prochaines années, nous serons sur la bonne voie jusqu'à la fin du siècle. »

Dans le cas contraire, la facture du changement climatique pourrait s'envoler. Moins on parviendra à l'atténuer, plus il sera violent et plus les mesures pour s'y adapter seront onéreuses. À mesure que le temps passe, le carbone (qui a une très longue durée de vie) s'accumule dans l'atmosphère et les infrastructures de transports ou d'énergie très émettrices - des investissements de longue durée eux aussi - continuent d'être développées. « Comparé à un investissement prévu d'environ 90 milliards de dollars d'ici à 2030, verdir les infrastructures ne représenterait qu'un léger surcoût », affirme Nicolas Stern. Ainsi, le faible coût opérationnel des énergies renouvelables pourrait compenser dans la durée le coût des investissements de départ, à condition de déployer des solutions de financement innovantes. Mais si rien n'était fait d'ici à 2030, le coût annuel de réduction des émissions serait multiplié par trois pour les vingt ans suivants.

 Combattre plutôt que subir

En la matière, plusieurs biais détaillés dans le rapport tendraient à surestimer le coût de l'action contre le changement climatique et dans le même temps à en minimiser les bénéfices. D'un côté, on constate ex post que les effets de l'innovation technologique, des nouveaux modes de consommation et des réglementations, facteurs de baisse des coûts, ont souvent été sous-estimés. De l'autre, on omet encore souvent de calculer l'incidence économique de nombreux bénéfices, tels qu'une meilleure santé publique. En outre, le sujet est étudié selon une approche macroéconomique, ce qui ne permet de prendre en compte ni les bénéfices nés des interactions entre différents secteurs, ni le coût pour chaque secteur d'un milieu naturel dégradé et de ressources plus rares et plus chères.

Ne reste plus aux économistes ayant participé au rapport - convaincus qu'il vaut mieux pour la croissance combattre le changement climatique plutôt que de le subir -qu'à s'atteler à l'élaboration d'outils susceptibles de le démontrer de façon plus éclatante encore...

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Commentaire 1
à écrit le 05/02/2015 à 18:23
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Regardez l'émission "La dette, une spirale infernale ?" diffusée le 03/02/2015 sur arte. Elle est accéssible sur arté replay. Après vous serez moins serein mais plus réaliste sur nos avenir a tous...

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