Un morceau de roi

Si l'Epiphanie se fête le pre- mier dimanche de janvier, la consommation de galettes des rois s'étale de fin décembre à fin janvier, pour le plus grand bonheur des gourmands, mais aussi des collectionneurs de fèves. En effet, les fabophiles, c'est leur nom, divisent leur passion en deux périodes : l'achat, en ce moment, et pendant onze mois, le classement et les échanges. La tradition des fèves, récu- pérée par l'Eglise dès le Moyen Age, a des origines païennes, développées sous l'Empire ro- main. Les Saturnales marquaient le solstice d'hiver et faisaient la correspondance avec la première semaine de l'année chrétienne. Ces « journées des fous » étaient prétexte à des festi- vités populaires plus orgiaques que sacrées. A ces occasions, dans plusieurs garnisons, on tirait au sort, parmi les condamnés à mort, un roi qui, pendant une semaine, avait tous les droits... avant d'obtenir celui d'avoir la tête tranchée. Galette hors la loi... La religion fit intervenir les Rois mages, histoire de mettre fin aux orgies et de donner une image plus convenable à cette coutume, mais qui n'empêcha pas rtaines habitudes de se mainte- nir : ainsi, sous Louis XIII, la dame qui devenait reine disposait-elle, pour cette journée, de toutes les charges. A noter que les jansénistes, par un appel en Sorbonne, déclarèrent la galette et sa fève « hors la loi ». La fève, déjà en pratique depuis longtemps, a été « officia- lisée » au XVIIe siècle en Provence, où l'on glissait un haricot sec dans le gâteau. De sa couleur évoluant avec les mois (on la gardait précieusement) dépendait la qualité des récoltes : plus elle devenait grisâtre, moins bonne allaient être les moissons. Puis la fève a été remplacée dans quelques contrées par une figurine cartonnée représen- tant le petit Jésus. La Révolution, toujours à l'affût des sym- boles royaux, a fait de la ga- lette des rois celle de l'éga- lité. On gardait la part du pauvre, comme cela se pratique encore aujourd'hui dans certaines régions, et la couronne était remplacée par un bonnet phry- gien. Support publicitaire. C'est à l'Allemagne que revient la paternité des premières figurines en porcelaine, vers 1870. Ce sont alors de petites poupées, très vite remplacées par des enfants Jésus, des Vierge ou des rois et reines, voire des animaux. C'est également à la fin du siècle qu'apparaissent les premières fèves publicitaires, sous la houlette d'un certain M. Lion, sis rue de la Lune, à Paris, et qui mourut millionnaire, ses fèves se reconnaissant à leur forme de lune. La première collection connue a été photographiée en 1913, et publiée dans le Monde illustré. Après la Première Guerre mondiale, toutes les fabriques de porcelaine françaises créent leurs modèles. Les plus connus et bases de toute collection sont Limoges-Castel, Laplagne et Ranque-Ducongé. Cette dernière marque, d'abord spécialisée dans les baigneurs, produisait jusqu'à 6.000 fèves par jour, dans des moules façonnés à la main. Le catalogue de 1939 comporte 70 sujets différents. Les plus recherchés : « La colombe », le « Cassez-moi », « Alfred le pingouin », et l'avion « Point d'interrogation ». Tirages limités pour fabophiles. Le plastique ne fait sont entrée dans les galettes qu'en 1960. Moins cotés par certains pu- ristes, quelques modèles sont pourtant plus recherchés comme la « 2 CV » ou le « Vespa ». Les modèles du sud de la France sont souvent plus volumineux : le gâteau est une brioche, non une galette. La porcelaine, plus difficile et plus chère à fabri- quer, disparaît peu à peu à partir des années 70, pour être remplacée par de la céramique, de la terre cuite émaillée, le métal doré... voire le verre, pourtant cassant. Le développement des thèmes d'actualité connaît son envol au début des années 80 : bicentenaires, jeux Olympiques, héros de dessins animés... Les pâ- tissiers, traiteurs et designers créent, depuis, des personna- ges ou objets en tirages limités pour attiser la convoitises des fabophiles. Attention aux contrefaçons. Ces fèves contemporaines, même en métal doré à l'or fin, ne peuvent rivaliser en terme de prix avec leurs ancêtres des siècles passés. Les cotes sont mo- destes pour la majorité des fèves, qui s'échangent de 10 francs à 100 francs. Seuls les anciens modèles en porcelaine cotent plus de 1.000 francs. Mais at- tention aux contrefaçons. Il existe nombre de copies ou réédi- tions. Les faux sont souvent plus légers, leurs vernis trop réguliers. Les porcelaines anciennes sont d'un blanc pur et leur dessin approximatif. En- fin, le temps atténue les couleurs, la patine étant l'un des éléments les plus faciles quant à l'exper- tise. H. K. et J. S.
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