Claude Guéant : " La franchise médicale pourrait tenir compte du revenu "

Comment analysez-vous l'état de grâce dont bénéficie Nicolas Sarkozy depuis son élection ?Je ne sais pas s'il faut qualifier la situation dans laquelle nous sommes d'état de grâce. Nicolas Sarkozy a proposé un projet aux Français, ce projet a été approuvé. C'est devenu un mandat pour le président de la République, qui le met en oeuvre. Il est naturel que les Français continuent d'approuver un projet qu'ils se sont eux-mêmes appropriés. Certains doutes se manifestaient pendant la campagne présidentielle quant à la réalité des intentions du président. Or, les priorités annoncées sont immédiatement mises en oeuvre.Sur certains sujets, pourtant, on a l'impression que le gouvernement commence à reculer. Sur la réforme de l'université par exemple...Ce n'est pas du tout un recul. Au contraire, c'est un aboutissement. Nicolas Sarkozy et François Fillon ont toujours dit que l'université française était une priorité absolue. Pour remettre la France au niveau des meilleurs dans le domaine de l'enseignement universitaire, mais aussi en termes de recherche, car le potentiel universitaire n'est pas assez valorisé. La préparation de cette réforme s'est faite dans un consensus assez général. Sur le contenu, nous avons cherché d'abord à obtenir une gouvernance efficace de l'université, ce qui suppose un conseil d'administration réduit et surtout un président qui ait des pouvoirs et qui puisse gouverner. Le projet de loi qui sera soumis au Conseil des ministres mercredi atteint ces objectifs. Certes, il y a des petites modifications par rapport au texte initial. Mais la négociation qui a eu lieu et l'accord auquel nous sommes parvenus avec nos interlocuteurs ne modifient en rien l'objectif qui est d'avoir des présidents d'université en mesure de gouverner. Le deuxième objet de la réforme est l'autonomie. Elle signifie la liberté pédagogique, le choix des disciplines, la recherche des filières d'excellence, la possibilité de choisir les professeurs, la gestion du patrimoine, etc. Le projet initial prévoyait une plus grande autonomie pour toutes les universités et un degré supplémentaire pour quelques-unes qui seraient volontaires. Ce système optionnel avait recueilli l'accord des présidents d'université. Ils se sont ensuite ravisés. Finalement, nous avons trouvé ensemble une solution de compromis qui répond totalement à notre attente puisque nous atteindrons plus vite le but poursuivi. Dans cinq ans, toutes les universités françaises auront ce supplément d'autonomie.Demain, François Fillon prononce sa déclaration de politique générale. Alors que Nicolas Sarkozy semble piloter lui-même tous les dossiers, quel poids peut avoir le Premier ministre ?Il faut que l'on s'habitue à une réalité politique que des années de cohabitation ont peut-être fait oublier, à savoir qu'il n'y a pas d'opposition entre le président de la République et son Premier ministre. Nicolas Sarkozy et François Fillon travaillent quotidiennement ensemble depuis plus de deux ans. François Fillon a été dans l'organisation de campagne le seul responsable politique à être en permanence au côté du candidat. Il a été responsable de l'élaboration du programme de l'UMP. Il y a un numéro 1 et un numéro 2, un président et un Premier ministre. C'est exactement le même rapport que celui qui existait entre le général de Gaulle et son Premier ministre Georges Pompidou. Il y a quelqu'un qui donne les orientations et un autre qui, à la tête de la majorité, les met en oeuvre. Dans cette mise en oeuvre, il apporte évidemment sa force de proposition. Il y a une nouveauté : cette réalité est aujourd'hui assumée. Nicolas Sarkozy a dit qu'il voulait gouverner, qu'il était élu pour s'occuper des Français et qu'il ne se cantonnerait pas à la politique étrangère et à la politique de défense. Cette différence est un élément de la rénovation de notre vie politique. On agit dans la transparence. Le patron apparaît comme le patron.Quels engagements allez-vous prendre sur les finances publiques alors que votre première loi fiscale est coûteuse ?Nous devons répondre aux inquiétudes sur la façon dont seront gérées les finances publiques. François Fillon va y répondre dès demain et nous en parlerons avec nos partenaires européens lundi prochain, lors de la réunion de l'Eurogroupe auquel va se rendre Nicolas Sarkozy. Le débat d'orientation budgétaire prévu le 16 juillet et la préparation du projet de loi de finances 2008 éclaireront les Français sur nos choix.Allez-vous tenir l'engagement pris par le Premier ministre précédent de revenir à l'équilibre budgétaire d'ici à 2010 ?Le gouvernement précédent avait annoncé 2010. Les objectifs seront tenus en 2012 et le budget 2008 traduira un effort considérable de maîtrise des finances publiques.Est-il vrai que l'application de la réforme sur les heures supplémentaires prévue le 1er octobre pourrait être décalée pour permettre aux entreprises d'être prêtes ?On met en avant un certain nombre de difficultés techniques liées à l'informatique et à la paye. Mais les problèmes invoqués ne semblent pas insurmontables. Le président souhaite que la réforme s'applique à partir du 1er octobre.La réforme de l'État est l'un des grands chantiers du quinquennat. Comment allez-vous procéder alors que vous allez la piloter directement depuis l'Élysée ?Le président de la République et le Premier ministre ont confié à leurs plus proches collaborateurs le soin d'animer une réflexion sur la révision générale des politiques publiques. Notre ambition est de revisiter de façon systématique les politiques publiques au regard des objectifs fixés. Il y a eu un travail important ces dernières années, à travers notamment les procédures d'audit réalisées par les corps d'inspection. Notre ambition est plus vaste. Prenons l'exemple d'un secteur important, celui de la formation professionnelle qui brasse 23 milliards d'euros. C'est un élément clé de la politique de l'emploi. Des strates se sont accumulées au fil des années. Toutes les actions menées sont-elles pertinentes et efficaces ? Il faut s'interroger. Ce sont paradoxalement les salariés le mieux formés qui bénéficient le plus de la formation professionnelle, pas les demandeurs d'emploi ! Il faut remettre à plat tout le système.Nicolas Sarkozy a annoncé la mise en place d'une commission d'experts chargée de réfléchir sur la fixation du Smic. Quel projet avez-vous en tête concernant la réforme du salaire minimum ?Aujourd'hui, la revalorisation du Smic est automatique et le gouvernement peut y ajouter le fameux " coup de pouce ". Mais sur quels critères décider ou non du coup de pouce ? Il me semble que, suivant certains exemples étrangers, la décision gouvernementale - car la hausse du Smic restera décidée par le gouvernement - peut s'appuyer sur un avis d'experts qui tient compte d'un ensemble de critères : la situation de l'emploi, l'évolution des ressources non salariales, etc.Nicolas Sarkozy va prochainement nommer une nouvelle commission Rueff-Armand, référence à l'action économique du général de Gaulle en 1958. Quelles seront ses missions ?Nous voulons lever les obstacles structurels à la croissance pour regagner le point qui nous manque par rapport aux autres pays. C'est l'objectif de cette mission qui identifiera les freins et fera des propositions pour les surmonter. C'est vrai que dans l'histoire économique de notre pays, la commission Rueff-Armand a laissé un grand souvenir parce qu'elle a été l'occasion de la mise en évidence très consensuelle de nombre de problèmes qui gênaient la modernisation de l'économie française. Régulièrement, les économistes et nombre d'experts signalent les freins qui existent encore aujourd'hui pour la croissance de notre pays et il est logique que nous chargions une nouvelle commission de nous éclairer sur le sujet. Certes, le rapport de Michel Camdessus a déjà recensé un certain nombre de ces freins. Mais lui-même a reconnu qu'il serait bon d'approfondir ce travail pour aller plus loin dans les réformes. Nous attendons ce nouveau rapport pour la fin novembre.Qui allez-vous charger de piloter cette mission ?Le président l'a proposée à Philippe Séguin qui l'a acceptée, parce que c'est une vraie autorité morale de notre pays et que sa fonction de premier président de la Cour des comptes ajoute à l'objectivité, la capacité de rassembler des personnes, experts et partenaires sociaux, qui peuvent contribuer à trouver des solutions à nos difficultés.La franchise sur les dépenses de santé est-elle toujours à l'ordre du jour ?La réflexion est encore en cours, mais le président a réaffirmé devant les parlementaires qu'il fallait songer à cette idée parce que, comme il l'a expliqué pendant la campagne, les dépenses de santé dans notre pays ne vont pas baisser. La population vieillit, la demande de santé augmente et la qualité des soins s'améliore tout en devenant plus coûteuse. Il nous faut donc trouver de nouvelles ressources. On peut certes faire mieux pour avoir un système de santé plus efficace tout en restant juste. Mais nous avons devant nous des impératifs sociaux, éthiques mêmes : la lutte contre le cancer, la montée de la maladie d'Alzheimer. C'est le devoir de sociétés comme la nôtre de faire face à ces dépenses inéluctables. La franchise serait un étage supplémentaire de solidarité.Allez-vous reprendre la proposition de Martin Hirsch de bouclier sanitaire en fonction du revenu ?C'est la proposition du haut-commissaire aux Solidarités actives. Cette franchise pourrait effectivement prendre en compte à la fois la situation de santé des personnes, notamment les maladies de longue durée, et le niveau du revenu. Nous ne l'excluons pas. L'Allemagne l'a fait et, sur ce sujet comme sur la TVA sociale, nous sommes pragmatiques : cela ne nous dérange pas de nous inspirer de ce qui marche ailleurs.Est-ce que vous ne faites pas trop reposer votre politique économique sur l'outil fiscal ?Ce n'est évidemment pas le seul élément. Nicolas Sarkozy a présenté un projet riche de beaucoup de facettes. Il a voulu lever prioritairement certains blocages fiscaux qui touchent directement la croissance. Par exemple, les banques et les assurances, que nous avons récemment reçues, nous ont dit que la possibilité de déduire jusqu'à 50.000 euros de son ISF pour investir dans le capital de PME peut drainer une capacité d'investissement de 1,5 milliard d'euros par an. Mais le président a aussi voulu tenir sa promesse sur le pouvoir d'achat. Je sais qu'il y a un débat de doctrine, puisque selon certains économistes, la France ne souffre pas d'un problème de demande. C'est peut-être vrai en terme d'analyse macroéconomique, mais ce n'est pas l'avis des Français qui ressentent très clairement un problème de pouvoir d'achat. Il faut bien sûr agir aussi en faveur des entreprises, faire en sorte qu'elles puissent mieux se financer et développer la recherche, cela pour grandir et créer de la richesse et du travail. Il faudra aussi s'attaquer au poids des réglementations. Il y a un énorme travail à faire pour simplifier la charge administrative des entreprises.Où en êtes-vous sur le dossier Gaz de France-Suez ?Il n'est pas exact de dire que le gouvernement a pris une position. Il y a encore, dans les quinze jours qui viennent, un certain nombre de rendez-vous pris pour déterminer une orientation précise sur les différentes options envisageables.La décision sera prise dans les quinze jours ?Elle le sera dans les quinze jours.La vigie de l'ÉlyseeIl n'est pas habituel qu'un conseiller de l'Élysée, fusse son secrétaire général, prenne publiquement la parole. Mais Nicolas Sarkozy en a décidé autrement. Il a souhaité donner beaucoup d'autonomie à sa garde rapprochée de l'Élysée, qui est en quelque sorte " son " gouvernement. À 62 ans, Claude Guéant, qui accompagne Nicolas Sarkozy depuis 2002, s'affirme et monte au front pour expliquer la politique impulsée depuis l'Élysée. Ce grand préfet, qui connaît le chef de l'État depuis 1987, lorsqu'il était maire de Neuilly, joue un double rôle dans l'appareil gouvernemental : celui de tour de contrôle et de courroie de transmission entre l'Élysée, Matignon et les ministères. Pour que les rouages ne grincent pas.
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