L'humanité au bord de l'abîme

Paris, fin 1938. Le rédacteur en chef de « Liberazione » est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel. Suicide ou assassinat ? Pour le petit groupe de réfugiés politiques italiens qui anime ce journal antifasciste, distribué par des mains bienveillantes dans la péninsule, l'avertissement est clair. Cette mort suspecte porte la marque de l'Ovra, la redoutable police secrète de Mussolini. Malgré cette menace, ils décident de continuer leur action subversive. Et de confier la direction du journal à Carlo Weisz, un journaliste originaire de Trieste qui travaille pour la filiale parisienne de l'agence de presse Reuters. Ses multiples reportages entraînent le lecteur au c?ur des derniers combats des républicains espagnols ou au sein du quotidien des Berlinois écrasés par la propagande nazie.Après « le Royaume des ombres » (réédité en « poche » chez Points) puis « le Sang de la victoire », le journaliste et écrivain américain Alan Furst signe ici son troisième livre traduit en français par les éditions de L'Olivier. Habitué à décrire l'univers du renseignement, il réussit aujourd'hui, avec ce « Correspondant étranger » aux faux airs de roman d'espionnage, une ?uvre ambitieuse sur les derniers instants de paix en Europe. Par petites touches, en une succession de rencontres et de dialogues justes et sans fioritures, il raconte la fin d'un monde. Une société entière qui s'apprête à basculer dans l'horreur de la guerre. Cette période charnière va de la fin de la guerre d'Espagne en 1938 jusqu'à la signature du « pacte d'acier » en mai 1939 entre Berlin et Rome, en passant par le coup de force des nazis contre les Tchèques et les pressions exercées sur la Pologne pour récupérer la ville de Dantzig.Deux types de résistanceAlan Furst parvient à établir un parallèle entre cette situation politique sans issue et celle de son personnage principal qui tente d'échapper à son destin tragique. En effet, journaliste et résistant, acteur et témoin du drame qui se noue en Europe, Carlo Weisz se retrouve pris entre deux feux. Menacé d'être abattu par la police secrète de Mussolini, il subit également la pression exercée par les services secrets britanniques qui tentent de l'instrumentaliser.La confrontation entre Weisz et le mystérieux colonel Ferrare est un des moments fort de ce magnifique roman. Ce dernier, ex-combattant du bataillon Garibaldi au sein des brigades internationales, a été libéré par les Anglais du camp de réfugiés espagnols où il était interné. Le journaliste est chargé de recueillir le témoignage de ce « soldat de la libert頻 pour écrire un livre militant destiné à ouvrir les yeux des Américains sur la menace des totalitarismes allemands et italiens. Deux hommes. Deux types de résistance. Weisz incarne un combat de l'esprit : une presse subversive doit permettre de fissurer le régime de Mussolini. Ferrare incarne, lui, le guerrier qui prend les armes pour défendre ses idées. Tous deux n'auront bientôt plus le choix des armes.« Le correspondant étranger » d'Alan Furst. Traduit de l'anglais par Jean Esch. ? Éditions de l'Olivier, 306 pages, 21 euros.
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