Les patrons bretons rêvent de réunifier leur région

Taiseux mais faiseux ». Le patronat breton a fait sien cet adage populaire. D'ordinaire discrets, les patrons bretons sortent du bois pour appeler à la réunification de la Bretagne historique. La publication, aujourd'hui, des travaux de la commission Balladur leur a permis de trouver une fenêtre de tir médiatique pour faire entendre leur voix. Les zélateurs de la Bretagne réunifiée sont nombreux. On trouve d'un côté les historiques, ceux qui n'ont jamais fait mystère de leur souhait et militent depuis longtemps en ce sens. Alain Glon, créateur du groupe agroalimentaire du même nom (1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires) et président de l'Institut de Locarn, un think-tank breton, ou encore Patrick Le Lay, ancien président de TF1 et créateur de TV Breizh, qui diffuse des séries sous-titrées en breton. Et puis ceux dont la présence relève de la nouveauté. Parmi eux, Roland Beaumanoir, patron de plusieurs enseignes de distribution de textiles, dont Cache-Cache, candidat au rachat de Morgan, ainsi que Christian Roulleau, qui dirige le groupe de nettoyage industriel Samsic (750 millions d'euros de chiffre d'affaires, 43.000 salariés). Même le très silencieux Club des Trente, association informelle regroupant les principaux patrons bretons, dont Vincent Bolloréeacute;, Louis Le Duff, Daniel Roullier et François Pinault, soutient cette démarche. Son représentant, Jacques Verlingue, a signé l'appel à la réunification lancé le 10 février dernier au restaurant Le Divellec à Paris.L'un des frères Guillemot, fondateurs d'Ubisoft, est devenu le porte-drapeau de ce mouvement. Installé à Londres, où il veille au développement de jeux pour téléphone mobile, Christian Guillemot estime « qu'une Bretagne à 5 départements aurait la capacité d'attirer plus d'entreprises étrangères sur son territoire et d'y installer les infrastructures de communication d'éducation et de recherche nécessaires à son développement économique au niveau souhait頻. puissance de la diaspora bretonnePour montrer sa détermination, le lobby breton s'est associé aux associations culturelles bretonnes qui s'escriment depuis plusieurs années à mettre la question sur la place publique. Ces patrons savent aussi qu'ils peuvent compter sur le soutien de politiques et de personnalités des médias?: Noël Couédel, directeur éditorial du groupe Amaury, Philippe Gloaguen, fondateur des Guides du Routard, l'écrivaine Irène Frain et, évidemment Patrick Poivre d'Arvor.En coulisses s'activent également la puissante diaspora bretonne parisienne. Cette armée des ombres est chargée de relayer la bonne parole. L'idée est de rendre la réunification comme relevant de l'évidence politique, économique, géographique et historique. Car les Bretons n'ont jamais fait le deuil de la décision de l'État français en 1941 d'arracher à ses racines historiques la Loire-Inférieure (la Loire-Atlantique d'aujourd'hui). De multiples sondages d'opinion, tant en Bretagne qu'en Loire-Atlantique, témoignent de cet attachement profond à une région comprenant ses 5 départements d'antan.C'est cette base d'adhésion populaire que les patrons bretons cherchent à dynamiser en mettant à son service leur force de frappe. « On chasse mieux en meute », indique de manière imagée Alain Esnault, président de Produit en Bretagne. Cette association regroupe 210 entreprises employant 100.000 personnes dans la région. Depuis seize ans, elle permet à ses membres d'apposer sur leurs produits un logo « Produit en Bretagne ». Rassemblant acteurs de l'agroalimentaire, de la distribution, de la culture, des services, PME et multinationales, ce réseau permet à ses membres de s'ouvrir mutuellement des portes. « Dès le départ, les fondateurs de l'association ont considéré la Bretagne comme étant naturellement unie », indique Alain Esnault, lui-même Breton de Loire-Atlantique. Vingt des 210 entreprises de l'association sont issues de Loire-Atlantique, 4 autres devraient les rejoindre prochainement. « Produit en Bretagne fonctionne déjà sur le modèle d'une Bretagne à 5 et démontre que cela marche », indique Ronan Le Flécher, fondateur des dîners celtiques sur Paris, un rendez-vous bimestriel qui attire plusieurs centaines d'habitués.Le lobby des patrons bretons poursuit deux objectifs qui se conjuguent. Le premier tient à la défense de ses intérêts au niveau national. Le combat perdu, le mois dernier, contre l'éco-taxe sur le transport routier est dans toutes les mémoires. A fortiori dans celle des 1.200 patrons bretons qui ont manifesté en février dernier en occupant près de Rennes le péage de l'autoroute qui mène à Paris. Le second tient davantage à l'intérêt général. Le catholicisme social a marqué de son empreinte ces patrons plus ouverts que la moyenne à la logique coopérative. Ils se disent investis d'une mission?: obtenir la réunification de la région pour renforcer la valeur de la marque « Bretagne ». Le made in Breizh, pensent-ils, est susceptible de porter le développement de leur territoire à l'international. Pour Christian Guillemot, la Bretagne réunifiée a vocation à suivre l'exemple de la Bavière, de la Catalogne ou de l'Écosse?: « Le monde économique attend avec impatience cette mutation, car il en a besoin pour que des décisions soient prises sur la multimodalité des transports ou de la politique maritime, par exemple » précise Jean Ollivro, géographe à l'université de Rennes. Cet intellectuel qui préside le Cercle de réflexion Bretagne prospective sait que ce combat n'est pas encore gagné?: « Le temps de l'économie n'est pas le même que celui de la politique. » n
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