Vingt ans de gabegie actionnariale

Quelle histoire ! Lorsqu'en 1984 le projet fut scellé de relier enfin la France à la Grande-Bretagne via un tunnel sous la mer, nombre de voix n'ont pas manqué de s'élever pour critiquer l'initiative, les plus véhéments estimant que les difficultés techniques et financières finiraient par l'emporter. Avec le recul, force est de constater que les difficultés techniques ont finalement été assez facilement maîtrisées. Le financement, en revanche, a bien failli faire capoter l'un des projets les plus ambitieux du XXe siècle. Il faut dire que les promoteurs de l'ouvrage avaient bien mal calculé ses coûts.La grande erreur ayant aussi été d'ouvrir le capital de l'entreprise aux actionnaires individuels au lieu de le réserver à des investisseurs avertis et aguerris. Résultat : le poids de l'endettement a très vite étranglé l'équilibre du bilan, vouant aux méandres les plus abyssaux l'action cotée en Bourse. Au grand dam de tous ceux qui avaient voulu participer à ce vaste projet, soit quand même environ 800.000 personnes. Pour renflouer les caisses régulièrement vides, plusieurs augmentations de capital ont été organisées. Diluant à chaque fois la part des actionnaires individuels qui ne voulaient pas forcément remettre la main à la poche. Avec cette conséquence infernale : plus le groupe s'endettait pour rembourser son colossal endettement, plus le poids du remboursement de la dette venait étrangler la société. évolution d'autant plus contrariante que l'activité commerciale d'Eurotunnel s'est très vite développée, au détriment du trafic aérien. tiré d'affaireDe 1994, date de l'inauguration du tunnel sous la Manche par la reine d'Angleterre et François Mitterrand, à nos jours, les très nombreux rebondissements du dossier Eurotunnel n'ont cessé de défrayer la chronique. En commençant par les attaques des actionnaires individuels regroupés au sein d'une association de défense qui a notamment attaqué en justice plusieurs dirigeants du concessionnaire pour fausse information. Souvent menacé de dépôt de bilan, même si les créanciers ont quand même récolté près de 10 milliards d'euros d'intérêts en l'espace de vingt ans, Eurotunnel n'est pas passé loin de la catastrophe en 2006. La société était alors à la tête d'un endettement de 9 milliards d'euros. Elle s'est placée sous la protection de la procédure de sauvegarde, afin d'élaborer un plan de sauvetage auprès de ses nombreux créanciers. Et finalement Jacques Gounon a réussi à mettre tout le monde devant une table et à restructurer cette fameuse dette. Avec le résultat que l'on connaît aujourd'hui.Eurotunnel semble bel et bien tiré d'affaire. Et la réussite du modèle industriel n'est plus à démontrer. Mais quelle gabegie actionnariale. Quel mépris pour les actionnaires individuels qui depuis plus de vingt ans ont dû se soumettre aux décisions de financiers qui ne pensaient qu'à retrouver leurs billes et à se renflouer mutuellement. Et tous ceux qui ont investi dans ce projet ne reverront jamais leur mise. À ce titre, l'histoire d'Eurotunnel restera l'un des épisodes les plus désastreux que la Bourse puisse offrir. n
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