Est-ce un géant qui s'ignore ou un nain qui se croit grand ? En réalité, la puissance de la France sur la scène mondiale de la santé se trouve peut-être à mi-chemin des deux... « Même si, aujourd'hui, nous pouvons considérer que les professionnels de santé travaillent dans des conditions indignes et qu'il n'y a pas une parfaite égalité d'accès aux soins, néanmoins, notre capacité à accéder à la santé et à délivrer une santé au top dans le monde nous est encore enviée », entonne Brigitte Autrans, présidente du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) qui a succédé au Conseil scientifique Covid-19.
Il n'empêche, certains indices illustrent « les fragilités du système », tempère Stéphanie Tchiombiano, maîtresse de conférence associée à Paris I Panthéon Sorbonne. La récente décision du Premier ministre, Gabriel Attal, de nommer un émissaire pour aller chercher des médecins à l'étranger et la question de la souveraineté en matière de production de médicaments en font partie. Surtout, pour cette spécialiste de la santé mondiale, « la remise en question de l'aide médicale d'Etat, qui faisait à l'international un élément essentiel du système français, puisque c'est son caractère inclusif qui fait rêver le monde entier, a écorné notre image », diagnostique-t-elle. Le système de santé tricolore perdrait donc en exemplarité...
Retrouvez en vidéo le débat « La France dans le marché mondial de la santé : un géant qui s'ignore ? » lors de l'événement Impacts Santé du 25 avril.
La recherche en perte de vitesse
Autre élément illustrant la perte de sa force de frappe sur la scène internationale - outre le fait que les fleurons de l'industrie française soient restés à la traîne dans la course aux vaccins contre le Covid - l'Hexagone ne consacrait, en 2021, que 2,21 % de son PIB à la recherche. Loin derrière les 3,14 % de l'Allemagne, par exemple. « La France n'investit pas. Or la recherche n'est pas une dépense, c'est un investissement », martèle Brigitte Autrans. Ainsi, les vaccins ARN messagers n'ont pas été produits, ni conçus, ni soutenus financièrement par la France, rappelle-t-elle. « Il y a un problème de perte de vitesse en termes de recherche et d'innovation thérapeutique et vaccinale du fait que le personnel politique ne croit pas à la valeur de la recherche en santé, mais à la valeur de la recherche dans l'industrie aéronautique », assène cette professeure émérite en immunologie.
Si la France ne brille plus autant qu'autrefois sur l'échiquier mondial de la santé, n'est-ce pas aussi parce que la stratégie géopolitique en santé est la chasse gardée du Quai d'Orsay ? « Il y a un nouveau paradigme sur les questions de santé qui insiste sur le fait que les maladies se déplacent bien au-delà des pays qui les ont vu naître, avec une obligation de travailler de manière collective et coordonnée à l'échelle de la planète », analyse Stéphanie Tchiombiano. « Etonnamment, c'est toujours le ministère des Affaires étrangères qui représente la France dans les conseils d'administration des grandes organisations internationales, alors même que dans pour d'autres pays, c'est souvent le ministère de la Santé », ajoute-t-elle. Et la politiste d'avancer : « Un intérêt bien compris de la bonne santé des administrés français serait un ministère de la Santé beaucoup plus actif à l'international qu'il ne l'est à l'heure actuelle ».
Une instabilité ministérielle
Autre fragilité potentielle, l'instabilité ministérielle avec, en sept ans, sept ministres de la Santé qui se sont succédés. Le poste est-il devenu intenable ? « Ce qui est important, c'est la continuité de l'Etat. Le système a montré qu'il fonctionnait », assure cependant Lionel Collet, président de la Haute autorité de santé (HAS).
« C'est une vraie difficulté d'avoir autant de ministres en peu de temps », objecte Nicolas Revel, directeur général de l'AP-HP. Conséquence aggravante, « les périmètres ministériels ont beaucoup bougé », constate-t-il, en affirmant la nécessité d'un ministère qui prenne en charge la santé, évidemment, mais qui soit aussi déployé plus largement, en incluant affaires sociales, seniors ou personnes en situation de handicap, et qui soit « confié à une personnalité politique de poids ».
Retrouvez en vidéo et en podcast la table ronde « Santé en France : y'a-t-il un pilote dans l'avion ? » lors de l'événement Impacts Santé du 25 avril.
Une gouvernance à repenser
Reste aussi à savoir qui, du ministère de la Santé, des ARS (agences régionales de santé), des CHU, de l'Assurance Maladie, des médecins, des industriels... a véritablement le pouvoir de décision. « Le pilote dans l'avion, c'est d'abord le ministre, tranche Lionel Collet. Et nous avons une stratégie nationale de santé » qui devrait être suffisamment claire pour donner un cap. Mais pour le patron de la HAS, notre pays a longtemps péché par manque de travaux prospectifs. « L'Etat a besoin d'un outil prospectif en santé. En ce moment, il n'est que parcellaire », insiste-t-il.
Par ailleurs, Thierry Hulot, président du syndicat français des laboratoires pharmaceutiques, le Leem, souhaite également un dispositif pour évaluer les besoins en médicaments sur le long terme. « Dans la foulée du plan Ma Santé 2030, l'Agence de l'innovation en santé a été nommée pour réfléchir à ce sujet. Mais pour l'instant, cela n'a pas vraiment démarré », déplore-t-il.
Sans oublier le pilotage régional, qui suscite lui aussi des interrogations quant à son rôle. « Je ne suis pas convaincu de l'intérêt de supprimer les ARS, qui, dans leur ensemble, fonctionnent bien », déclare Nicolas Revel. En revanche, il voit la nécessité d'introduire de la « souplesse » dans le système, à l'instar de l'article 51, qui permet de déroger à des règles d'organisation et de financement de droit commun du système de santé, et ainsi de déclencher des expérimentations d'innovation. Enfin, selon le dirigeant de l'AP-HP, il faut aller « beaucoup plus loin » dans l'adaptation des outils de prise en charge du vieillissement de la population.
Privé et public, oppositions et synergies
En revanche, Frédéric Bizard, professeur d'économie à l'ESCP Europe, se montre en désaccord « avec l'idée que le modèle vers lequel nous évoluons et les réformes qui sont faites depuis trente ans vont dans le bon sens », et critique de surcroît « une reprise en main étatique très forte ». Pour celui qui est aussi président de l'Institut Santé, « c'est la mort de notre modèle universel, solidaire, mixte public-privé et le mieux adapté à une société française attachée à l'égalité des droits et à la liberté des individus ». En outre, la récente hausse des tarifs des hôpitaux (4,3 % pour les établissements publics et 0,3 % pour ceux du privé) - une mesure « idéologique », d'après cet expert, qui « a vocation à sortir le secteur privé du modèle universel » - n'a fait que raviver une guerre qui n'a pas lieu d'être. Le déclencheur de « la nécessaire refondation » du système de santé français sera en fait son état financier dégradé.
Retrouvez en vidéo la table ronde « Privé contre public, ou plutôt privé et public ? » lors de l'événement Impacts Santé du 25 avril.
« On est sur une ligne de crête. On peut basculer d'un côté, la privatisation, ou basculer d'un autre, l'étatisation », redoute pour sa part le vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Michel Chassaing. Pour l'ex-président du Syndicat des médecins, le système de santé français, qui repose sur un égal accès aux soins pour tous, avec un financement public et un système de distribution mixte, est « très vertueux, et n'a pas du tout vieilli dans son concept ». Il doit simplement être revu dans son « application concrète ». Et pour ce faire, plutôt que d'opposer le public et le privé, mieux vaudrait une coopération entre les deux.