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Pas si déprimés que çà ! Les Français semblent avoir pris leur parti de la crise. Non qu'ils soient réellement optimistes mais le vent de panique d'il y a six mois laisse aujourd'hui place à une météo plus calme. C'est sous un nouveau jour qu'ils envisagent désormais leur avenir, et ce faisant, leur rapport à la consommation. Voilà en tout cas l'heureuse conclusion d'une étude menée en mai dernier par CLM BBDO, Omnicom Media Group et Scanblog auprès de 1.300 personnes âgées de 15 ans à 60 ans et de plusieurs panels européens par Internet. Les mêmes ayant établi, en octobre dernier, une photographie très sombre du moral des ménages : méfiance, panique, reprise de contrôle sur les achats, recherche du prix le plus bas, etc. Ils constatent aujourd'hui avec la crise que les Français réinventent un nouveau « mieux vivre ».Ainsi, les perceptions de hausse des prix et de perte de pouvoir d'achat marquent le pas. Et si 82 % estiment toujours devoir réduire leurs dépenses et sont passés à l'acte dans le mobilier, la décoration, l'habillement et les jouets, ils considèrent moins vouloir toucher à l'alimentation et aux coûts de téléphonie mobile. « Si le prix reste le premier critère déterminant dans les achats, la recherche de prix bas est devenue moins primordiale. Et ce sont sur les hommes et les responsables des achats que l'évolution est la plus marquée », note Zysla Belliat, directeur délégué Études et Recherche d'Omnicom Media Group.Est-ce à dire que tout redevient comme avant ? Que, comme le prédisent certains économistes, la crise est juste un cauchemar en train de s'estomper lentement ? Pour les Français interrogés, la réponse est clairement non ! 48 % pensent qu'ils ne consommeront plus jamais comme avant, une perception beaucoup plus forte d'ailleurs que dans le reste du monde (31 %) et en Europe (20 %). C'est donc à une véritable remise en cause, une sorte de mise à distance de l'acte de consommer que les acteurs vont devoir s'adapter. « Les Français semblent positiver la crise. Un peu comme s'ils se disaient dorénavant ?pour vivre mieux consommons mieux?, souligne Valérie Accary, présidente de CLM BBDO.Pour preuve : 47 % pensent qu'il n'est plus nécessaire de dépenser autant pour être heureux. Ils sont 50 % parmi les Européens et 55 % dans le monde entier à partager ce point de vue. Autant dire que l'on revient de loin ! En 2003, le philosophe Bernard Stiegler tirait la sonnette d'alarme dans un ouvrage remarquable « Aimer, s'aimer, nous aimer » où il démontrait comment la société de consommation portée à son paroxysme pouvait entraîner des drames comme la fusillade du conseil municipal de Nanterre par Richard Durn cette année-là. Et enfonçait le clou, il y a un an, avec « Économie de l'hypermatériel et psychopouvoir ». Cette fuite en avant dans le matérialisme à tous crins de la fin des années 1990-début 2000 a vécu. Résultat : « On constate parmi les interviewés une estime de soi grandissante dû au fait qu'ils sont plus acteurs de leur consommation mais surtout qu'ils prennent soudain conscience qu'ils peuvent acheter mieux. C'est très intéressant de voir que les individus s'adaptent toujours aux situations difficiles. Il y a six mois, on recueillait dans nos verbatim des postures de déni de la réalité. Aujourd'hui, ils ont l'air de reconnaître qu'ils ont consommé n'importe quoi n'importe comment », note Valérie Accary. Il n'y a qu'à surfer sur les blogs pour prendre la mesure du changement en marche : « La crise aura eu au moins l'avantage (et c'est le seul) de nous contraindre à raisonner un peu », écrit Mich sur le site de France 2. « Le problème vient peut-être de mauvaises habitudes de consommation ? On pourrait acheter meilleur », estime Elwing sur Doctissimo.Consommer intelligemment. Mais comment ? En étant vigilant d'abord. Aux états-Unis, les individus passent désormais 20 % de temps supplémentaire dans les supermarchés à comparer les prix et à s'interroger sur leurs besoins réels. 77 % des Français se disent, quant à eux, plus attentifs aux prix des produits bien sûr mais, surtout, 69 % regardent le prix au kilo ou au litre. 66 % comparent davantage et 35 % prennent aussi plus l'avis de leur entourage avant d'acheter. Façon de dire « il y a des pièges, méfions-nous ». D'ailleurs les bons plans continuent d'avoir le vent en poupe : 68 % optimisent leur budget en étant hyperattentifs aux promotions. Deuxième attitude : être plus exigeant en termes de qualité. 77 % se soucient de la provenance et de la composition des produits qu'ils achètent, 79 % de l'impact des produits alimentaires sur leur santé. Mais le critère environnemental reste cependant à la traîne et continue de tenir plus du discours que des actes. Enfin troisième acte : aller faire ses courses dans des circuits alternatifs. Les marchés bénéficient d'un net regain d'intérêt (19 % des Français les fréquentent plus) et 10 % revendiquent de nouvelles filières d'approvisionnement comme les brocantes, le troc ou la Toile. Sans compter les achats à la ferme. 18 % achètent désormais directement chez des petits producteurs et 40 % déclarent privilégier dorénavant les produits locaux. Ainsi acheter local devient une solution.Dans ce contexte, l'antigaspi devient LA valeur montante du moment. À la fois garante d'un acte environnementalement correct, responsable et économiquement avantageuse. Location, occasion, échange se développent et fondent une nouvelle attitude, celle de consommer « écolo-nomique ». Comme le disait il y a un mois l'économiste Jean Gadrey dans les colonnes de « Télérama », « substituons à la revendication de progression du pouvoir d'achat, celle d'un partage plus équitable et plus durable du pouvoir bien vivre ».Les marques n'ont plus qu'à bien se tenir. Fini les beaux discours, les grandes histoires, les légendes à tout va, le rêve en technicolor. Non, ce que veulent les consommateurs, c'est du vrai, du sens, de la transparence et surtout un peu d'empathie. 54 % d'entre eux déclarent apprécier les marques qui comprennent leurs problèmes actuels. Ils sont en phase en cela avec 56 % des Européens et 59 % tous pays confondus. Deux tiers des jeunes y sont plus particulièrement sensibles. Le carton rouge revient aux banques, accusées par deux tiers des sondés de ne toujours pas savoir écouter leurs clients. « C'est comme s'il ne s'était rien pass頻, témoigne Valérie Accary. Et autant dire que les efforts d'adaptation des marques, si effort il y a, sont encore globalement peu perçus, voire pas du tout. Une majorité trouve qu'elles n'ont fait aucun effort supplémentaire depuis la crise pour mieux écouter, récompenser la fidélité, ou simplement démontrer l'utilité de leurs produits. Rien à voir avec la chaîne Sainsburry qui en Grande-Bretagne a mené une campagne dans laquelle elle donne des idées d'achats et de repas faciles et à moindre coût aux familles. Une campagne qui a généré 200 millions de livres de chiffre d'affaires additionnel !Quant aux marques françaises qui continuent à se la jouer « eco friendly », elles sont priées de baisser d'un ton. 44 % se disent lassés d'entendre les revendications des entreprises sur leur « respect de l'environnement ». En particulier les femmes, les CSP + (catégories socio-professionnelles supérieures) et les plus de 45 ans. Beaucoup souhaitent en fait qu'on leur propose des produits plus simples, 68 % estimant que les produits sont globalement trop sophistiqués et ne correspondent pas à leurs besoins.Toutes les marques vont devoir prendre la mesure du changement qui s'opère dans les mentalités. Car le nouveau « mieux vivre » des Français semble plus tenir dans les biens de consommation à utiliser, à partager, et qui facilitent la vie que dans la pure et simple possession (voir interview de la psychosociologue Danielle Rapoport). Signe des temps, 56 % des Français déclarent vouloir vivre dans le présent face à un avenir des plus incertain et 33 % passent plus de temps chez eux, y reçoivent davantage et s'y divertissent plus. À ne pas confondre avec le cocooning version fin XXe siècle ! Décidément cette crise-là ne fait rien comme les autres.
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