Dix ans de boîte. Dix ans de vie commune. Elle était sa plus proche collaboratrice. Elle avait son profil gauche en ligne de mire. Toujours là, aux aguets, à deviner le coup d'après, à l'informer, à le protéger, à décrypter sa façon de penser. À décider pour lui aussi, à tenir son agenda, à écarter les casse-pieds. Elle était là, fidèle et disponible. L'entreprise avait un visage. Celui de son patron qui lui donnait du c?ur à l'ouvrage? On les appelait les inséparables.Tout cela lui donnait un sentiment de puissance, d'existence. On la craignait autant que lui, on l'enviait aussi. On ne pouvait approcher le patron sans passer par elle. Elle était son chef de cabinet, qui nous paraissait bien noir quand elle refusait de nous laisser y entrer. Elle connaissait les secrets de l'entreprise qu'elle gardait mieux que Cerbère. On s'est tous cassé les dents en s'essayant à la maïeutique. On espérait gagner sa sympathie pour trouver de la reconnaissance.un mur entre elle et eux Quand l'entreprise a été réorganisée, elle a demandé à le suivre. Elle a fait quelques confidences comme pour se rattraper aux branches d'un arbre déjà mort. Pour lui ? il fallait comprendre : pour la boîte ? elle avait laissé tomber famille, amis, loisirs. Pas de collègues parmi ses proches. À force de protéger le boss, elle avait mis un mur entre elle et eux. C'était lui qu'elle avait choisi et rien ni personne d'autre n'avait alors compté. Elle s'est vraiment battue pour rester avec lui mais les RH en ont décidé autrement.Dix ans d'entreprise. Dix ans de perdus ? Pour l'essentiel en tout cas, qu'elle avait traité en accessoire : son mari qui l'avait quittée depuis longtemps, ses enfants qui lui en voulaient. Il ne restait pas grand-chose d'avant cette belle aventure. On ne l'a pas virée. On les a séparés. On lui a trouvé un nouveau poste, celui-là même qu'elle avait fui il y a dix ans et qu'elle s'était pourtant juré de ne jamais reprendre. Son patron a fini au placard et elle à la poubelle. n

latribune.fr

01 Juill 2009, 1:40

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