La douleur est toujours là, présente une fois de plus dans « Vers toi Terre promise, tragédie dentaire », la nouvelle pièce du dramaturge Jean-Claude Grumberg mise en scène par Charles Tordjman, actuellement en tournée dans toute la France. Douleur indélébile. Comme si le passé ne pouvait rien effacer, qu'il renvoyait à la mémoire, avec une lancinante habitude, toutes les traces du souvenir. La guerre, la Shoah, l'extermination des Juifs. Et ceux qui ont survécu avec leur culpabilité à jamais ancrée en eux-mêmes. Grumberg est un de ces hommes, de ces auteurs de théâtre pour qui la blessure est dans chaque phrase, chaque mot, chaque réplique. Mais il n'en fait pas un drame. Bien au contraire, il choisit la comédie pour en parler, nous faire réfléchir. Il utilise l'ironie, la dérision, le rire, pour ne pas dire la blague, afin de décrire l'horreur, le remords, qui hantent nos consciences. Sans oublier l'absurde, sans lequel tout humour est voué à l'échec. Surtout lorsqu'il est noirci par la folie des hommes. Leur lâcheté aussi. Les hommes, pourtant, Jean-Claude Grumberg les aime bien. De « l' Atelier » à « Zone libre », ses pièces précédentes, il ne nous parle que de cela. De leurs faiblesses, leurs doutes, leurs bêtises. Inlassablement. Il parle aussi de lui, en avançant souvent masqué, s'abritant derrière l'auteur. qu'est-ce qu'être juif ?Ainsi « Vers toi Terre promise, tragédie dentaire ». Le point de départ c'est lui, adolescent, juste après la guerre. Un cabinet de dentiste où il va faire soigner ses caries. Après, c'est le théâtre qui s'empare de l'histoire. Il y a là un couple, Charles et Clara Spodek, dont l'une des filles a été déportée et n'est jamais revenue. L'autre est enfermée dans un Carmel, ce qui l'a sauvée des rafles. Depuis, ses parents ne peuvent plus la récupérer. L'histoire est simple, presque banale, mais Jean-Claude Grumberg en fait une tragédie avec ch?ur, coryphée et intrusion de l'auteur qui ramène tout le monde à l'action. Et ce monde en prend pour son grade. Qu'est-ce qu'être Juif aujourd'hui, demande Grumberg?? Il ne répond pas à la question, mais donne des pistes, parfois iconoclastes, parce qu'il aime se moquer de lui-même comme des autres, parce qu'il ne se prend jamais au sérieux de peur de s'ennuyer et d'ennuyer les autres. Être Juif, c'est peut-être d'abord être soi dans sa propre vérité, avec la Terre promise à deux où l'on vit. Où le bonheur vous aide, sans pourtant ne jamais oublier. Jean-Claude Grumberg est tout entier dans cette pièce, vivant, espiègle, mais jamais aveugle de ce qu'est la souffrance. On peut même dire qu'il rayonne tant elle est maîtrisée dans la forme et l'écriture. Avec Charles Tordjman, il a trouvé son double. Un frère de passion et d'amour. La mise en scène de ce dernier joue sur les éclats d'humeur, les abandons, les émois de l'auteur, lorsqu'il passe du rire à la tendresse. Délivrant le geste, accentuant l'expression. Travail d'orfèvre peaufiné par un quatuor de comédiens étonnants. La jovialité de Christine Murillo, l'accablement de Philippe Fretun, la surprise éblouie de Clotilde Mollet et les égarements d'Antoine Mathieu. n« Vers toi Terre promise, tragédie dentaire », théâtre de la Manufacture, 10, rue Baron-Louis ? Nancy. Tél.?: 03.83.37.42.42. Jusqu'au 20 décembre, puis du 6 au 10 janvier. En tournée à Lyon au théâtre des Célestins du 28 janvier au 7 février, à Montpellier au Théâtre des Treize Vents du 24 au 28 février, à Tel-Aviv, en Israël, au Théâtre Cameri du 31 mars au 4 avril, et, à Paris, au Théâtre du Rond-Point du 4 au 28 mars et du 7 au 11 avril. © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

latribune.fr

02 Jan 2009, 1:32

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