Shenzhen, laboratoire des réformes économiques

Une poignée d'hommes, pantalons et chemises noircis, attendent adossés à une rambarde. « Nous venons de provinces du centre du pays », raconte l'un deux. « Nous avons été licenciés la semaine dernière par notre employeur mais il y a pas mal de travail dans le coin, donc nous attendons qu'on vienne nous en proposer. Nous sommes des milliers dans cette situation mais il y a toujours du boulot pour tout le monde à Shenzhen. » L'imposante présence de ces migrants prouve à elle seule le succès de la zone économique spéciale (ZES) de Shenzhen, lancée en mai 1980 et aujourd'hui devenue l'eldorado de tous les Chinois. « Les statistiques officielles mentionnent une population de 6 millions d'habitants mais elles oublient les 10 millions de travailleurs migrants, et donc partiellement illégaux, qui vivent et travaillent ici », rappelle Liu Kaiming, le fondateur et directeur de l'Institut d'observation contemporaine, la seule organisation non gouvernementale chinoise qui opère en Chine dans l'audit social. Retour en arrière. En 1978, Deng Xiaoping décide de reprendre en main la Chine peu après la mort de Mao Zedong. Sa difficile arrivée au pouvoir se précise à l'occasion du 3e plénum du 11e congrès du Parti communiste qui se tient du 18 au 22 décembre 1978. Avec ses hommes, il va développer plusieurs directions visant à relever une économie chinoise à genoux après des décennies d'expériences maoïstes toutes aussi masochistes que dramatiques. Si l'agriculture et l'industrie figurent au centre des préoccupations du nouveau réformateur, une composante va revenir tout au long des trente années suivantes et incarner l'image de la révolution économique du successeur de Mao Zedong?: les zones économiques spéciales. Ces entités doivent notamment servir de lieu d'expérimentation de sa théorie économique d'un « socialisme avec des caractéristiques chinoises ». La proximité de Shenzhen avec Hong Kong fait d'elle une cible de choix?: en mai 1980, ce port de pêche de 332.000 habitants devient la première ZES du pays.investisseurs étrangersSes débuts s'avèrent pourtant pénibles. Le manque d'indications sur les objectifs de ces ZES et la lenteur de la mise en place de nouvelles législations ne rassurent pas les investisseurs étrangers. En 1984, 92,1 % des investissements à Shenzhen sont originaires de Hong Kong, moins de 30 % des investissements approuvés entre 1979 et 1984 voient le jour, et plus de 70 % de la production est vendue en Chine même. L'arrivée des investissements étrangers va pourtant servir de catalyseur au processus initié par Deng Xiaoping?: tel un aimant, Shenzhen va absorber le capital, la technologie et les techniques de gestion venus de l'extérieur. Il faudra attendre encore la fin des années 90 pour assister au décollage de la zone. En 1990, le secteur secondaire, les industries de manufacture en tête, compte ainsi pour la moitié des revenus de Shenzhen. Les gratte-ciel champignonnent, et l'ancien port de pêche abrite alors 2,01 millions d'habitants. Mais l'explosion de la ville va avoir lieu pendant les années 90, avec l'accélération du développement de l'ensemble du pays. Entre 1992 à 2002, le PIB de Shenzhen progresse de 31,73 milliards de yuans à 190,82 milliards (23 milliards de dollars). Surprise, en 2003, 40 % du revenu de la zone et 47 % de sa production industrielle sont classés de haute technologie, contre moins de 10 % en 1991. Parmi les 19.577 entreprises étrangères recensées dans la ville à la fin septembre 2008 apparaissent les noms de Samsung, IBM, ABB, Philips, Intel. Mais aussi ceux de Huawei, ZTE et TCL, devenus les porte-drapeaux de la technologie chinoise. Si l'industrie a fait un nom à la municipalité, les nouvelles technologies font désormais sa fierté. Laboratoire économique, Shenzhen est aussi un lieu d'expérimentations sociales. Ainsi, depuis l'établissement en 1992 dans la cité d'un salaire minimum de 245 yuans, celui-ci augmente au moins une fois par an (sauf en 2000). La dernière hausse remonte au 1er juillet?: il est passé de 850 à 1.000 yuans (100 euros) par mois. De quoi attirer de nouveaux candidats au travail, dans une cité où vivent désormais 8,3 millions d'habitants.
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