La guerre des taux fait toujours rage

Partagées entre le racolage du chaland et la nécessité de ne pas trop inquiéter les autorités de tutelle, les banques françaises continuent leur guerre des taux de crédit aux particuliers, tant sur le marché du crédit à la consommation que sur celui de l'immobilier. En présentant le rapport annuel de la Commission bancaire hier, Hervé Hannoun, sous-gouverneur de la Banque de France, s'est exprimé en termes mesurés : « Certains comportements commerciaux deviennent toutefois imprudents et dangereux, lorsque, une fois prise en compte la couverture du coût de la ressource, des frais généraux et du risque, la rémunération des fonds propres n'est plus suffisante pour assurer un renforcement des structures financières et pour permettre à notre système bancaire de rivaliser à armes égales avec des concurrents étrangers. » Pour tenter d'enrayer la tendance, le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, recommande depuis de longs mois aux banques, sous forme de circulaire, de respecter une marge de 0,60 point au-dessus des obligations assimilables du Trésor (OAT) retenues pour référence. Sur la base d'un OAT à 5,58 % hier, la norme Trichet impose aux banques de ne pas prêter à moins de 6,18 %. Vraie en 1996, il y a tout lieu de penser que la tendance à la vente au-dessous de ce seuil n'a pas disparu ces derniers mois. Comme le montre notre tableau. En privé, les banquiers admettent bien volontiers que cette surenchère à la baisse sur le loyer de l'argent n'est pas bénéfique pour les marges sur crédit déjà mal en point des banques françaises. Mais l'atonie persistante de la demande, notamment en matière de consommation avec l'extinction des mesures en faveur de l'automobile, ne peut qu'inciter les réseaux à lutter pour ne pas perdre de parts de marché, voire pour tenter d'en grignoter sur le dos des concurrents. En apparence, il ne s'agit que d'une saine émulation. La plupart des établissements affichent (voir tableau) des taux de crédit relativement tendus mais pas systématiquement attaquables eu égard aux critères de saine gestion. Ainsi, au Crédit Lyonnais, une offre qui était valable jusqu'à fin juin proposait 6,70 sur cinq ans. A l'autre extrémité du spectre, la Société Générale affichait 4,90 %. « Ce taux n'est pas raisonnable », critique un banquier concurrent, pour qui cette banque « s'est clairement engagée dans une stratégie de conquête de parts de marché et tire le système bancaire vers le bas ». Le nom du Crédit Mutuel ou de la BNP est également cité parmi les fauteurs de troubles présumés. Face aux critiques, la Générale met en avant le fait que « son offre est limitée dans le temps et la durée du crédit réduite à dix-huit mois », explique Charles Foissac, directeur des produits clientèle à la Société Générale. Une telle offre implique un refinancement adaptée. Or, sur ce plan, les banques ont, depuis la baisse des taux sur le marché, retrouvé une marge de manoeuvre essentielle. Comme beaucoup d'autres banques, la référence retenue par la Générale est le taux interbancaire offert à Paris (Tiop), dont les échéances vont de un mois à douze mois (3,43 % pour le un mois et 3,57 % pour le un an). Pour c réseau comme pour d'autres, il s'agit non seulement de ne pas mollir face aux concurrents traditionnels, mais également de ne pas se laisser déborder par des établissements de crédit spécialisés, comme la Diac, ou par des filiales de groupes étrangers... D'autres établissements distinguent taux officiels et taux de « défense », qu'il faut bien pratiquer lorsque le client joue habilement de la concurrence. Dans ce cas, on peut voir certains coûts de crédit chuter de quelques dizaines de centimes, voire 1 % ou plus selon la solvabilité du client. Faut-il en conclure que les banques françaises s'adonnent sans vergogne à la vente à perte ? De l'aveu même des banquiers, la réponse est nuancée. Certes certains réseaux pratiquent du dumping, mais une banque comme la Société Générale distribue suffisamment de produits pour jouer sur ce qui est devenu une tradition en France : la péréquation entre produits et services. Mais plus inquiétantes encore sont les pratiques commerciales sur le marché immobilier. Les crédits accordés s'inscrivent dans la durée et façonnent le produit net bancaire (chiffre d'affaires des banques) sur le long terme. Or ce segment de marché souffre d'un excès d'offre. Pour résister, les banques calculent leur taux au plus juste et innovent grâce aux prêts à taux révisables, que les consommateurs hexagonaux avaient jusqu'à présent boudés. La plupart des taux révisables aujourd'hui officiellement proposés sont, à quelques exceptions près, inférieurs à 6 % ou tout près de ce seuil. Ces formules sont adaptées au grand public et fixent des limites aux fluctuations des taux (pas plus de 2 % à 3 % par rapport au taux de départ). Pour leur part, « les taux fixes peuvent sur le terrain descendre vers les 6,30 % », note un banquier. Selon un autre, « certaines banques font du dumping ou recourent à des montages financiers tels que les swaps de taux » pour bénéficier des taux à court terme qui sont plus faibles. Avec une OAT à 10 ans à 5,58 %, il ne semble en effet pas aisé de dégager une marge de 1,5 point ou même de 1 point que recommandent certains professionnels. Toutefois, « le véritable juge de paix, c'est le coût de la ressource », objecte Christian Fizet, directeur du développement à la Caisse d'Epargne Ile-de-France-Paris, soulignant que la Caisse d'Epargne dispose de ressources gratuites et se trouve en position structurellement excédentaire, ce qui abaisse de plusieurs centimes le coût de refinancement. Mais rares sont les réseaux dans ce cas. Pour rendre leurs propositions encore plus attrayantes, certaines banques songent à proposer des taux variables sans butoirs. C'est aujourd'hui déjà le cas du CCF et de certains opérateurs étrangers, notamment anglo-saxons. « Le CIC réfléchit comme d'autres ban- ques à proposer un produit à taux variable pur sans cap », explique Norbert Charasch, directeur du réseau au CIC Paris. Reste à savoir si les Français, qui découvrent une telle formule, seront totalement avertis du risque qu'elle fait courir. Les taux, notamment court terme, ont atteint un niveau historiquement bas, inconnu depuis les années 70. L'éventualité d'une hausse est donc loin d'être exclue. Mais certains banquiers récusent tout alarmisme. Ils estiment que, dans la perspective de l'euro et du respect des critères édictés par le traité de Maastricht en matière de finances publiques, l'Europe devrait entrer dans une ère de stabilité financière. Mais le pari semble encore fragile. Laurent Chemineau
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