"Décomplexer notre patriotisme économique"

Vous organisez un colloque dont le thème est "Investissements étrangers et sécurité nationale", en présence de responsables politiques américains. Pourquoi ?- Incontestablement parce que le thème du patriotisme économique et une nouvelle lecture de la mondialisation ont émergé en France depuis au moins quelques mois. Ce thème, qui se traduit par l'identification et la protection de nos secteurs stratégiques, est au coeur de la réflexion que j'ai engagée depuis que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, m'a confié la rédaction d'un rapport sur l'intelligence économique. Devant la place centrale prise par le thème du patriotisme économique et le désordre de la pensée française sur ce sujet, j'ai souhaité ce colloque afin que la classe politique en retire une lecture un peu crue des dispositifs qui ont été mis en place avec succès aux États-Unis et dans d'autres pays. Et avec tant de réticences dans le nôtre ou en Europe.En quoi la présence de représentants américains vous semblait-elle utile ? Et pourquoi ceux-ci ont accepté de venir et sont représentés par leur ambassadeur et d'autres hauts fonctionnaires ?- Les États-Unis, parangon du libéralisme, associent au mieux le gouvernement et les affaires. Depuis toujours, ils pratiquent le patriotisme économique que nous découvrons aujourd'hui. J'ai donc souhaité un débat avec nos partenaires, qui ne soit pas seulement contradictoire mais permette d'aborder courtoisement, mais sans ambiguïté, la nature de nos dispositifs et de nos postures politiques respectives. Est-ce que, de leur côté, il ne leur apparaît pas nécessaire, aujourd'hui, de dissiper ce que l'on appelle pudiquement un certain nombre de malentendus transatlantiques alors qu'ils sont engagés sur le front du terrorisme contre Al-Qaida et le front commercial contre la Chine ?Mais le patriotisme économique n'est-il pas une forme de protectionnisme ? Est-il admissible aujourd'hui pour un pays de se fermer aux autres ?- Ne confondons pas patriotisme économique et nationalisme. Si nous voulons une concurrence loyale et non faussée, nous devons promouvoir nos intérêts. Sinon, le plus fort impose sa loi aux autres. Il n'y a guère que Neelie Kroes, commissaire européenne à la Concurrence, qui combatte toute protection européenne pour les entreprises européennes. Comme nos amis américains, nous devons déterminer le périmètre économique que nous souhaitons défendre et encourager sur les marchés mondiaux. Il en est ainsi de nos activités économiques stratégiques, qui ne relèvent pas complètement de l'économie libérale, qui génèrent de la puissance, de l'influence, de l'émancipation.Dans tous les pays, le thème du patriotisme économique prend de l'ampleur. Pourquoi selon vous ?- Cette montée du patriotisme économique dans le monde entier est un cinglant démenti pour tous ceux qui pensaient que les marchés s'autorégulaient, que la mondialisation générait un profit distribué de manière naturelle, qu'elle dessinait en gros l'intérêt général. En fait, seul l'État est capable de tracer le destin d'une nation, c'est-à-dire d'identifier ce qui est stratégique, de mutualiser les expertises, de veiller à la cohésion sociale par l'emploi. Si tous les pays s'accordent sur le respect des règles de droit, la recherche d'équilibre, le patriotisme économique peut alors faire prévaloir la paix économique sur la guerre économique. C'est l'enjeu de ce colloque et le sens de mon engagement.Propos recueillis par P. J.
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