Europe : renforcer la sécurité énergétique

Demain l'Europe dépendra, pour les deux tiers de ses approvisionnements énergétiques, de zones géographiques instables : le Moyen-Orient pour le pétrole et l'Asie centrale post-soviétique pour le gaz, deux régions du monde sur lesquelles l'Union et ses États membres n'exercent qu'une influence réduite. Pourtant bien moins dépendants que l'Europe, les États-Unis ont érigé la sécurité énergétique en priorité de leur politique étrangère.L'opinion et les dirigeants européens ont désormais pris conscience de cette dépendance dangereuse, quand s'annonce l'ère de l'après-hydrocarbures (tout en prévoyant une croissance de 50 % de la consommation pétrolière et de 75 % de la consommation gazière pour le prochain quart de siècle...) et alors que s'exacerbe déjà la concurrence des grands pays émergents pour l'accès aux ressources.Bien sûr il faut économiser l'énergie, développer les renouvelables, relancer le nucléaire en Europe. Mais il faut aussi rechercher la construction de solidarités avec les pays fournisseurs afin d'équilibrer les dépendances mutuelles. Comment sécuriser la relation avec ceux dont on dépend, alors que les protectorats pétroliers sont révolus depuis la décolonisation et l'Opep ?Notre pays est depuis longtemps sensible à sa déficience en matières premières et s'est doté d'instruments pour y remédier. L'amitié privilégiée franco-arabe a répondu, partiellement, à cet objectif. Très sensibilisée à l'enjeu, l'Amérique, à la suite de l'amirauté britannique, a perdu l'Iran après la chute du shah. Son influence sur l'Arabie Saoudite est en question depuis le 11 septembre ; elle vient de reprendre le contrôle d'une province pétrolière perdue : l'Irak. Mais pour combien de temps ?Attirer les capitaux...L'Europe en revanche est loin de disposer des mêmes moyens de puissance. Dans ce contexte, et alors que la géopolitique de l'après-guerre froide en est encore à rechercher ses marques, la relation russo-européenne mérite une nouvelle démarche. La Russie, premier réservoir et premier exportateur de gaz (dont elle fournit le tiers des besoins européens), est consciente de ce qui lui reste de ses attributs de grande puissance et s'affirme avec détermination comme leader du G8 et de la "sécurité énergétique collective". Le "Far East" de l'Europe est riche de terres vierges et de ressources à exploiter.On estime à 17.000 milliards de dollars l'investissement à réaliser dans l'énergie au cours du prochain quart de siècle. Pour rendre cet objectif réalisable, il faut édifier une solidarité nouvelle en créant un climat nouveau. Car des deux côtés on a besoin de confiance. Les investisseurs étrangers, dont les capitaux et la technologie sont indispensables à la mise en valeur des ressources minérales, craignent la spoliation inspirée par les soubresauts récurrents de la démagogie ou du chantage aux puissants. Les pays producteurs cherchent à préserver leur patrimoine domestique des "convoitises du capitalisme apatride". Il faut donc inventer de nouvelles formes de partenariats public-privé afin de répondre à ces préoccupations fort légitimes.La charte russo-européenne a été conclue dans cet objectif. Mais depuis 1991, elle n'a guère produit de résultats concrets. Le gaz est un domaine de souveraineté et son commerce ne peut être laissé aux seules lois de la finance privée : ce fut l'erreur d'un désormais célèbre "nouveau Russe" de ne pas l'avoir vu (ou peut-être de l'avoir trop bien compris...). Autrement, si chacun des acteurs entend seul garder la main, ni les capitaux ni les concessions d'exploration, de production et de transit ne se matérialiseront. Et quand viendra le temps de la pénurie, ce sera la panique. Le marché gazier international a besoin d'un encadrement de souveraineté. Gazprom ne vient-elle pas de recruter pour promouvoir le lien transbaltique un ambassadeur d'influence ?... en sécurisant les positions monétairesLe dollar est aujourd'hui la monnaie de compte des transactions mondiales de pétrole et de gaz, où prédominent les contrats "spot". La structure des importations de l'économie russe, actuellement en pleine croissance, est principalement libellée en euros. Il serait dès lors de l'intérêt mutuel de payer en euros les livraisons de gaz russe. Ne serait-ce que pour sécuriser les positions monétaires mutuelles en période de changes qui pourraient devenir instables. Et aussi pour investir à long terme. Le transport de gaz - contrairement au pétrole et au GNL - se fait en effet par des liens fixes et donc par contrats à long terme. La construction et l'exploitation des gazoducs ont besoin d'énormes capitaux investis sur des décennies et sécurisés par des concessions de service public, garantis par des traités internationaux.Pour mettre en oeuvre cette idée, trop simple sans doute pour être à la mode, il suffit que les États qui se sentiraient concernés, leurs entreprises énergétiques et leurs autorités monétaires s'entendent pour conduire un contrat de long terme libellé en euros, qui serait dans un premier temps à caractère expérimental. Si cette initiative sans grand risque fait ses preuves, nul doute qu'elle fera ensuite école.Il est temps que l'Europe prenne conscience de sa fragilité énergo-stratégique : et qu'elle se donne l'imagination pour y faire face.
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