La Guitare électrique lance le big-bang sonique

Les joueurs de guitare ont longtemps eu besoin d'un champion, de quelqu'un qui explique au monde qu'un guitariste est autre chose qu'un robot grattant sur un gadget afin de soutenir le rythme. » Considéré comme l'un des musiciens les plus influents du XXe siècle, Charlie Christian a résumé en 1939 la frustration que les guitaristes professionnels ruminaient depuis près de vingt ans. Avec l'avènement des grands orchestres au début des années 1920, jouant pour un public grandissant, dans des salles toujours plus vastes ou dans de bruyants bars et clubs de danse, les guitaristes éprouvaient la plus grande difficulté à se faire entendre avec leur instrument acoustique. Alors que les origines de la guitare remontent à 3.000 ans avant Jésus-Christ, ce populaire instrument n'avait d'autre choix pour survivre à l'ère du jazz que de connaître une révolution sonique. La première guitare électrique, que commercialise en 1932 un Suisse immigré en Californie, Adolf Rickenbacker, s'adressera toutefois aux aficionados d'un tout autre genre musical : la guitare hawaïenne. La « poêle à frire » de Rickenbacker est en fait une guitare tenue à plat sur les genoux, dont le microphone basé sur un aimant de fer à cheval capte les vibrations de cordes métalliques. C'est pourtant des musiciens de jazz et de blues que la guitare dans sa version électrifiée sera rapidement prisée. En 1936, le luthier Gibson commercialise la première guitare électrique espagnole, soit de forme classique. Elle est dotée d'une caisse de résonance, de petites ouïes et, surtout, de microphones à barrette. Le modèle ES-150 de Gibson - correspondant à « Electric Spanish » et à un prix de vente de 150 dollars - connaît un succès immédiat auprès des guitaristes de swing. Au sein du sextet du clarinettiste Bennie Goodman, Charlie Christian devient le premier « guitar hero » de l'ère électrique. Après sa mort précoce - Christian est décédé en 1942, à 26 ans, de tuberculose - son style électrique continuera à faire des émules parmi les guitaristes de swing, de be-bop et même de blues. Son influence reste forte au XXIe siècle. Soucieux de séparer le son émis par leur instrument de celui des autres musiciens lors d'enregistrements, les guitaristes de « country music » passent aussi à l'électrique. En 1947, le virtuose Merle Travis s'associe au fabriquant Paul Bigsby afin de produire l'une des premières guitares électriques à corps plein. Il faudra toutefois attendre 1950 pour que la guitare électrique plate « solid body » rencontre un succès suffisant et soit produite en série industrielle : Leo Fender, surnommé le « Henry Ford de la guitare électrique », commercialise alors sa Broadcaster, qui pour des questions de droits, changera rapidement de nom et deviendra la Telecaster. Cet instrument révolutionnaire est doté d'un sélecteur offrant trois sonorités différentes grâce au filtrage des fréquences de ses micros. Ce modèle est immédiatement adopté par les francs-tireurs de la country music, dont Buck Owens, l'un des maîtres du son « twang », grave et amplifié, indissociable de la Telecaster. Il connaîtra vite le succès auprès d'icones du blues (Muddy Waters), du rock'n'roll des années 1950 (James Burton, accompagnateur de Ricky Nelson puis d'Elvis Presley) et du rock des années 1960 et 1970 (Eric Clapton au sein des Yardbirds, Keith Richards des Rolling Stones, Joe Strummer du groupe punk The Clash...). En 2010, la Telecaster reste l'instrument de prédilection d'artistes aux styles très variés, qu'il s'agisse du chanteur américain Bruce Springsteen ou de Kele Okereke, le leader du groupe britannique Bloc Party. Après la Telecaster, Fender commercialise en 1951 une guitare basse électrique à corps plein, la « Precision ». En dehors des formations de jazz, elle s'impose et remplace rapidement l'encombrante contrebasse. En 1954, Leo Fender lance un nouvel instrument légendaire : la Stratocaster que populariseront à travers les décennies Buddy Holly, Jimi Hendrix, David Gilmour (Pink Floyd), John Mayer... Cette guitare légère est dotée de trois micros et d'un vibrato, une tige d'acier métallique placée au niveau du chevalet afin de réaliser un effet de «vibré» en faisant bouger les cordes. Elle demeure l'une des «solid bodies» les plus vendues au monde.Le succès de la Telecaster suscitera rapidement les convoitises. Dès 1952, Gibson lance sa propre guitare électrique à corps plein, la «Les Paul» qui en 2010 reste l'un des instruments les plus populaires du marché. Elle sera notamment associée à Jimmy Page de Led Zeppelin et à Slash de Guns N'Roses. Depuis les « fifties », Fender et Gibson poursuivent leur incessant duel mais font depuis face à une multitude de concurrents américains, européens et asiatiques. Cette lutte s'est intensifiée à partir des années 1960, où la guitare électrique a connu un véritable boom grâce à la musique « surf » américaine puis à la pop anglaise. Selon la revue « The Music Trade », 1,45 million de guitares électriques ont été vendues aux États-Unis en 2008, soit plus du double qu'en 1999, représentant un marché de 566 millions de dollars. Des instruments de toutes formes, couleurs et provenances ont inondé ce lucratif marché. Pourtant, depuis soixante ans, les modèles Telecaster, Stratocaster et Les Paul n'ont pratiquement pas connu de modification de leur design. Et pour cause : des guitaristes de tous âges et de tous styles continuent à les adorer tandis que le prix des instruments d'origine s'est envolé au cours des dernières années. À tel point que Fender et Gibson reproduisent à l'identique - avec les mêmes matériaux et les mêmes outils - certains modèles vintage dont le prix peut atteindre jusqu'à 400.000 dollars ! éric Chalmet
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