Le rouleau

À la veille de la rentrée scolaire, les parents y achètent les baskets qui résisteront au bitume des cours de récréations. Aux premiers froids, cette petite couverture en maille polaire vendue en tête de gondoles à 9,90 euros sera parfaite pour se lover devant la télévision. Et, à Noël, une montre waterproof façon Swatch à 17,90 euros et une valise à roulettes à 34,90 euros feront l'affaire pour Papi et Mamie.Pas un marché de l'équipement de la personne n'échappe à Décathlon. L'enseigne aux 433 magasins vend de tout et pour toutes les saisons. Pour preuve?: elle vient de lancer une nouvelle ligne de chaussures, la Newfeel. Décathlon la présente comme une gamme de « chaussures de marche active ». Elle comprend des chaussures à lacets, mais aussi des ballerines. On est donc à cent lieues de la grosse chaussure de randonnée Quechua, sa marque emblématique. Autre exemple de sa conquête du marché de la mode?: depuis mi-2009, l'enseigne cherche à désaisonnaliser l'activité de Tribord. Spécialisée dans les sports d'eau, avec ses maillots de bain et ses bermudas, sa marque propre réalise 70 % de son chiffre d'affaires au cours du printemps et de l'été, selon Arnaud Gauquelin, directeur de la marque. Mais, à l'automne, rien ne l'empêcherait de griffer des coupe-vent ou des vestes pour deux-roues? Le tout à des prix défiant, là encore, toute concurrence. La méthode fait merveille. En France, l'année dernière, alors que le marché des articles de sport reculait de 0,5 %, son chiffre d'affaires a, quant à lui, progressé, de 3,89 % à périmètre courant et de 2 % à périmètre comparable, se hissant à 2,5 milliards d'euros. Bref, la machine Décathlon ne cesse de gagner des parts de marché. L'offensive est telle que, désormais, la chaîne d'articles de sports est la première enseigne d'habillement en France. Selon TNS Worldpanel, elle représente 3,3 % des ventes du marché hexagonal de l'habillement, devant les Galeries Lafayette (3,1 %), Leclerc (2,9 %) et Carrefour (2,7 %). Pas moins de 35 % des Français ont acheté un article d'habillement Décathlon en 2008. Sa puissance de feu s'exprime d'abord dans les rayons pour hommes. À l'heure où les Français troquent chemises et pulls pour un polo porté sous une polaire, Décathlon excelle?: ses ventes représentent 5,7 % du marché de l'habillement masculin, devant Celio et ses 3,4 % de parts de marché. « Décathlon, c'est une formidable réussite, une très belle machine », reconnaît Philippe Wargnier, ancien directeur général de Go Sport, son challenger. « Et de surcroît, c'est plus rentable de vendre des fringues que des skis », ajoute un fabricant. Mais gare à la mode?! Elle passe, elle lasse. Décathlon ne veut pas trop s'exposer à ce risque. Tout est donc entrepris pour cultiver son image d'équipementier sportif. L'enseigne fondée en 1976 à Englos, près de Lille, par Michel Leclercq, cousin de Gérard Mulliez, le fondateur d'Auchan, doit demeurer au marché des articles de sport ce que fut Frigidaire au marché des réfrigérateurs. « C'est devenu le point de vente de référence de produits d'articles de sport et de loisirs » reconnaît un fournisseur. L'enseigne cultive cet ADN. D'anciens sportifs de haut niveau, dont Nicolas Capdeville, triple champion du monde de bodyboard, conseillent les équipes de conception de produits Décathlon. La direction de la communication du groupe assure même que faire du sport constitue l'un des premiers critères de recrutement. Les 41.000 employés Décathlon seraient tous des passionnés?; chaque responsable d'un rayon a l'étoffe d'un champion. Et mieux vaut qu'il ait gardé son souffle quand il est promu au siège. Car, à l'issue de chacune de leur réunion pour arrêter des grandes décisions stratégiques, les cadres de l'enseigne font, ensemble, du sport. Habillés aux couleurs de la marque, ils testent de nouveaux produits maison ou de nouvelles pratiques promises au succès. Chefs et subalternes sont alors logés à la même enseigne. Décathlon cultive ainsi un esprit viril à mi-chemin entre les Scouts de France et l'UCPA (Union nationale des centres sportifs de plein air). « Cela donne des cadres bien formés, bien entraînés », estime un fournisseur. Décathlon y gagne ainsi une image de bon employeur. Pour preuve?: depuis mars, elle est, derrière Google, la marque que les Français admirent le plus, selon un sondage BVA-Leo Burnett. Une aura qui tient sans doute aussi à sa stratégie de production. Connue pour ses petits prix, l'enseigne se targue de concevoir ses produits en France, à défaut de les faire fabriquer dans l'Hexagone. Cocorico. En fait, la majorité de ses produits provient des pays à faible coût de main-d'?uvre d'Asie et d'Europe de l'Est. Il y a quelques années encore, par souci de transparence, Décathlon dévoilait la répartition de son approvisionnement?: en 2003, 47 % de sa production sortaient d'usines asiatiques. Mais depuis, silence radio. La maison ne publie plus ce genre de chiffres. Le ras-le-bol du made in China et l'opprobre jeté sur la grande distribution, chantre des délocalisations en Asie, ont fait leur ?uvre.En mai 2008, le groupe s'est doté d'un nouveau nom. Oxylane n'est plus seulement un distributeur réalisant un chiffre d'affaires mondial de 4,9 milliards d'euros, mais aussi un « créateur de produits sportifs et de marques ». Nuance. Le groupe détenu par l'association familiale Mulliez, grande fortune ch'ti, ne cesse de parler « relocalisation » et « recentralisation ». Avec pour petite rengaine la façon dont il conserve ses bureaux de conception de produits en France d'abord, en province ensuite. Dans les Pyrénées-Atlantiques, à Hendaye, dans l'ancienne criée, cent personnes travaillent pour Tribord. Parmi eux figurent trois anciens employés de chez Arena, marque de maillots de bain qui a fermé son usine de Libourne en mars. À Domancy, en Haute-Savoie, Quechua emploie lui plus 180 personnes. La marque y est à l'étroit. Elle cherche du foncier. Décathlon, dont le siège abrite 1.000 salariés à Villeneuve-d'Ascq, investit autour de son fief. En plein Lille, dans le quartier du Petit-Maroc, à l'emplacement de l'ancienne usine Altadis fermée en 2005, B'Twin, la marque de vélos de Décathlon, va créer 315 emplois d'ici à 2014 en ouvrant une usine d'assemblage, un centre de recherche et développement, un atelier de prototypage, un bureau d'études et? un magasin de 5.000 m2. Sa marque Kipsta, destinée aux sports collectifs, s'installera en 2012 sur une friche de 70 ha située sur les communes de Tourcoing, Roubaix et Wattrelos. Elle créera 20 des 70 emplois promis sur le site. À Marcq-en-Baroeul, cet été, l'enseigne a transféré les équipes Domyos. Enfin, à Lille-Sud, quartier où le chômage dépasse les 20 %, le groupe va investir 10,5 millions d'euros dans la création de « Essensole Village ». Ce « centre mondial du chaussant » occupera un site de 3 ha. Ce sera pour 2010. Avec à la clé 120 créations de postes sur les 250 emplois qu'Essensole Village rassemblera. « Certains ont dit qu'Oxylane est à Lille ce qu'Airbus est à Toulouse. Je crois que c'est assez vrai », a ainsi formulé Martine Aubry, maire de Lille. Dans un département où le taux de chômage est de 2 points supérieur à la moyenne nationale, Décathlon fait ainsi figure de sauveur. Et cela tombe à pic.Depuis plusieurs années, l'enseigne était pointée du doigt. D'abord à cause de sa part de marché écrasante en France?: plus de 50 % des ventes d'articles de sport en France se font chez Décathlon, très loin devant les Go Sport, Intersport et autres Sport 2000. Mais aussi pour la façon dont, dans ses rayons, elle a viré la plupart des grandes marques de sport pour faire de la place aux siennes. Quelques marques résistent, dont les baskets Nike, Adidas et New Balance. Mais pour combien de temps?? Les petits prix de Décathlon, la technicité de ses produits et sa réputation de qualité ont déjà laminé plusieurs marchés. « Il y a avait plein de marques d'outdoor françaises. Mais Quechua leur a bouffé les mains », observe un concurrent. Les tentes et sacs à dos Lafuma sont fragilisés. Les skis Salomon sont mal en point. Ceux de Rossignol peinent. Sans parler des maillots Arena, un must dans les piscines olympiques d'antan. Les modèles Tribord les ont remplacés. « Décathlon a aussi tué le vélo en France. Gitane?? Peugeot?? Ils sont tous quasi morts », déplore un fournisseur. La machine Décathlon n'a pas fini de faire des dommages collatéraux en France. Le groupe est en train de lancer une enseigne discount du nom de Koodza. En 2008, 7 magasins ont été ouverts, dont un en Espagne. Elle en ouvrira 15 cette année. Parallèlement, l'enseigne pousse ses pions à l'étranger. Son réseau en dehors de France devrait, cette année, représenter plus de la moitié de ses ventes. Une trentaine de magasins seront ouverts. Autant de points de vente où ses marques doivent rafler l'entrée de gamme du marché du sport et de l'habillement. nPas un marché de l'équipement de la personne ne lui échappe. L'enseigne aux 433 magasins vend de tout et pour toutes les saisons. « Certains ont dit qu'Oxylane est à Lille ce qu'Airbus est à Toulouse. Je crois que c'est assez vrai. »Martine Aubry Première enseigne d'habillement en France, Décathlon représente 3,3 % des ventes du marché hexagonal. Depuis mars, la marque est, derrière Google, celle que les Français admirent le plus. Pas moins de 35 % d'entre eux ont acheté un article d'habillement Décathlon en 2008.
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