Quand 1.500 millions de Chinois prennent la grosse tête...

La Chine s'est donc réveillée. On le savait depuis quelques années, et Erik Izraelewicz (ancien directeur de la rédaction de « La Tribune », candidat à la direction du « Monde ») avait résumé les nouveaux moteurs de l'empire du Milieu dans son ouvrage « Quand la Chine change le monde ». C'était en 2005, c'est-à-dire hier dans l'histoire plusieurs fois millénaire du géant asiatique.Mais il y a une éternité au rythme de la fulgurance de l'émergence chinoise. Depuis, le pays a vu son revenu doubler. Au cours de cette période, la Chine a aussi organisé triomphalement les Jeux olympiques de 2008. Raflant 51 médailles d'or, contre 36 pour les États-Unis. L'an dernier, Shanghai s'est offert une nouvelle vitrine planétaire, en accueillant la plus grande Exposition universelle de l'histoire, avec 73 millions d'entrées. La Chine des records, une fois de plus. Mais à force de vouloir copier le boeuf (américain), la grenouille chinoise a fini par prendre la grosse tête, prévient l'auteur dans son nouvel essai sur les leçons du rattrapage chinois.Ses succès économiques aidant, Pékin affiche désormais une assurance indéboulonnable. « Garder la tête froide et conserver un profil bas... Ne jamais prétendre dominer mais faire de grandes choses », lançait Deng Xiaoping à ses compatriotes, en initiant les réformes économiques il y a trente ans. Autant de sages principes reniés aujourd'hui par les nouveaux maîtres du pays, qui n'hésitent pas à faire de la gonflette avec les chiffres, jouer sur la fibre nationaliste, ou utiliser l'arme économique pour asseoir leur pouvoir.Premier exportateur, deuxième puissance économique du monde, la Chine, qui vole désormais au secours des économies mutilées de la crise, a, certes, des raisons d'afficher sa fierté retrouvée. Cent fois, les Cassandre ont prédit l'écroulement du régime, l'imminence d'un krach immobilier ou l'explosion sociale. Mais le paquebot chinois, évitant les (gros) écueils de la crise financière asiatique de 1997-1998, de l'éclatement de la bulle Internet, ou encore de la crise des subprimes, a su garder le cap, flirtant avec une croissance souvent à deux chiffres.De quoi faire rosir de plaisir les caciques du Parti communiste : au moment où la domination de l'Occident vacille, l'empire du Milieu impose son modèle économique. L' « illibéralisme » chinois, tel que le définit Erik Izraelewicz, cet « étrange mariage entre la main invisible du marché et la main, lourde parfois, mais visible de l'État », a pris sa revanche : le nouveau « consensus de Pékin » remplace désormais celui de Washington. Les manuels des étudiants en économie n'ont qu'à se mettre à la page ! Difficile dans ces conditions d'échapper à cette bouffée d'arrogance, celle-là même que connurent les Japonais dans les années 1980, lorsque les samouraïs capitalistes venus de Tokyo rachetaient gratte-ciel et studios de cinéma aux États-Unis. On sait ce qui est advenu de l'économie nippone : elle est entrée quelques mois plus tard dans une profonde dépression dont elle n'est jamais vraiment sortie.Les Chinois subiront-ils la même punition ? Non, répond l'auteur, qui voit au contraire dans l'immensité de l'empire chinois un potentiel de croissance largement inentamé. Mais après trois décennies de décollage reposant sur un modèle fondé sur la transpiration et les petites mains bon marché, la Chine doit changer son logiciel. Et c'est précisément cette angoisse face à des mutations devenues indispensables qui alimente aujourd'hui l'arrogance chinoise. Car le pacte social de ces dernières années se délite. La démographie va bientôt décliner. Le moteur « tout export » atteint ses limites. Pékin doit réveiller ses consommateurs. Créer une sécurité sociale. Instituer de nouvelles libertés. Libérer la créativité. En un mot, dessiner, à l'encre de Chine, la croissance de demain. Un défi pour les futurs dirigeants du pays. Mais aussi pour l'Occident, qui, rappelle l'auteur, doit apprendre à vivre avec cet encombrant éléphant. Éric Chol
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