Pourquoi le pouvoir aime haïr la télévision

Fin 1980, Catherine Nay avait prêté cette plaisanterie (apocryphe) à Jacques Chirac : « J'ai fait un cauchemar, j'ai rêvé qu'il y avait un troisième frère Duhamel ! » Dans le livre d'entretiens cosigné avec Alain Duhamel et le journaliste de « L'Express », Renaud Revel, Patrice Duhamel révèle que ce troisième frère existe bien mais qu'il n'a aucune relation avec le monde de la politique et des médias. Dans lequel Alain et Patrice sont plongés depuis quarante ans, de Giscard à Sarkozy, en passant par Mitterrand et Chirac. D'où leur démonstration, courtoise mais implacable, sur les liens infernaux entre le pouvoir et les journalistes, notamment de télévision.Si Alain Duhamel semble plus philosophe, Patrice est encore marqué par le long conflit qui a opposé l'ex-direction de France Télévisions à Nicolas Sarkozy. Il raconte notamment une scène ahurissante, pendant une remise de décorations à l'Élysée, où, devant une quarantaine d'invités, l'actuel chef de l'État pique une colère homérique contre lui en lançant qu'il faut « tout refaire, du sol au plafond » sur les chaînes publiques. Et cette autre anecdote où, prié de dire pourquoi il s'intéresse tant au cahier des charges des chaînes de France Télévisions, Nicolas Sarkozy lâche à ses interlocuteurs : « Mais je suis le président de la République, quand même ! »Avec honnêteté, les deux journalistes reviennent au « péché de jeunesse » de leur carrière : la fascination intellectuelle qu'a exercée sur eux Valéry Giscard d'Estaing et qui a abouti à cette soirée orageuse du 10 mai 1981 place de la Bastille, quand le peuple de gauche, célébrant la victoire de François Mitterrand, a réclamé leur tête, ainsi que celle de Jean-Pierre Elkabbach. Plus récemment, Alain Duhamel a été « blessé » par la polémique sur sa déclaration en faveur de François Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2007. Ce qui le conduit à estimer que la France devrait rompre avec la tradition hypocrite qui veut que l'engagement d'un éditorialiste ou d'un journaliste politique soit nié là où aux États-Unis il est considéré comme normal. Une piste de réflexion à creuser.Comme pour brouiller toutes ces cartes mises sur table, Alain Duhamel livre d'ailleurs un souvenir étonnant : Jean-Pierre Elkabbach et lui furent les deux seuls journalistes français invités à se recueillir sur la dépouille de François Mitterrand, qui en avait exprimé le souhait. Pour résumer, une lecture indispensable à un an et demi de la présidentielle de 2012, où le contrôle des médias sera un enjeu de taille. ? « Cartes sur table, par Alain Duhamel et Patrice Duhamel » (Entretiens avec Renaud Revel), éditions Plon, 228 pages, 19 euros.
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