Comment Xavier Niel

Il y a du Steve Jobs chez Xavier Niel. Et pas simplement dans la façon de s'habiller, baskets et chemise sur le pantalon. Comme le fondateur d'Apple, le patron de Free incarne la réussite de sa société. Numéro deux français de l'accès à Internet avec plus de 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel et 4,4 millions d'abonnés, Iliad est devenu en dix ans la 55e entreprise française, employant plus de 5.000 salariés. En Bourse, la start-up qui puise ses origines dans le Minitel vaut plus de 4 milliards d'euros. 500 millions d'euros de plus qu'Air France-KLM. Icône patronale, Xavier Niel, dans un univers qui, en France, en compte peu ? Pour s'en convaincre, il suffisait de regarder le comportement de ses invités vendredi soir au Palais omnisports de Paris-Bercy. Petit drapeau à la main, 10.000 personnes ? salariés de Free, abonnés, personnalités des médias ou des affaires, journalistes ? se pressent sur les gradins. Ils sont venus fêter les 10 ans de l'entreprise, au rythme des sketchs de Gad Elmaleh, de la guitare de Louis Bertignac ou des percussions de Richard Kolinka, deux anciens du groupe? Téléphone.Moins à l'aise en public que Steve Jobs, Xavier Niel ne fait qu'une courte apparition sur la scène de Bercy. Mais le message est clair : réaffirmer la candidature du groupe pour l'obtention de la quatrième licence de téléphonie mobile. Car, depuis trois ans, Free est en campagne pour obtenir le sésame supposé lui permettre de maintenir le rythme de croissance de ses revenus (40 % en moyenne par an depuis 2004) alors que le marché de l'ADSL s'approche de la saturation en France. Derrière le rideau, le patron reçoit en comité plus restreint. Un cocktail réunit tous ceux qui comptent dans l'univers des télécoms, à commencer par Jean-Ludovic Silicani, président du gendarme des télécoms (Arcep), ou Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence. Quoi de plus efficace qu'une séance de relations publiques après une telle performance.Xavier Niel a toujours su jouer de ce côté « rock and roll » qui explique en grande partie le succès commercial de Free. Le mot s'affiche d'ailleurs sur l'écran de la Freebox à chaque fois qu'on l'allume. « Dans la technologie et l'Internet, quand votre produit plaît, détonne, le soutien du public arrive naturellement », avance ce patron peu enclin à parler de lui ou à se mettre en avant. Pour cet autodidacte, dont la fortune professionnelle atteint 2,6 milliards d'euros, la réussite du groupe se nourrit aussi des « freenautes », les abonnés (on ne dit pas client chez Free), dont 500.000 à 600.000 seraient inscrits sur des sites communautaires d'utilisateurs.Mais Xavier Niel est aussi maître dans l'art d'entretenir ce capital sympathie. Depuis dix ans, il rencontre trois à quatre fois par mois une trentaine d'abonnés. Et, quand il le faut, le dirigeant, timide mais adepte des formules chocs, se fait militant. Après avoir inventé le forfait d'accès à Internet à 30 euros (téléphone illimité et télévision compris), Xavier Niel s'engage en 2008 à « diviser par deux la facture téléphonique d'un foyer français » s'il obtient la quatrième licence de téléphonie mobile. De quoi s'assurer un peu plus le soutien des associations de consommateurs, de l'opinion publique, mais aussi de plusieurs ministres, dont le Premier, persuadés que plus de concurrence en France dans les télécoms profiterait au pouvoir d'achat des ménages. À l'Élysée, même si l'arrivée d'un quatrième opérateur rend Nicolas Sarkozy « perplexe », ses plus proches conseillers, François Pérol, Xavier Musca ou Claude Guéant, ont toujours soutenu l'idée d'un nouvel entrant. En début d'année, Xavier Niel accusera même France Télécome;lécom d'être un « délinquant multirécidiviste ». La preuve ? Attaqué par Free devant toutes les juridictions, françaises et européennes, le numéro un français a été condamné à plusieurs reprises pour pratiques anticoncurrentielles. Cette déclaration lui vaudra un procès en diffamation mais elle entretient son image d'opérateur alternatif en lutte contre l'establishment. Derrière le champion de la provocation se cache en fait un fin politique. Il a beaucoup appris depuis l'introduction en Bourse de la maison mère de Free (Iliad), en janvier 2005. « Devenu plus gros, et alors que les dossiers de la fibre optique ou de la quatrième licence de téléphonie mobile sont hautement politiques, le groupe a été obligé de s'institutionnaliser », indique une source qui l'a aidé à vendre Iliad au marché. Xavier Niel l'a lui-même reconnu dans un entretien à « Challenges ». « Pour militer pour la quatrième licence mobile, il a fallu rencontrer et tâcher de convaincre beaucoup de monde dans les ministères et les couloirs du Parlement. Je suis devenu un peu plus ?politically correct?. »Composé à l'origine des dirigeants historiques et d'Alain Weill, patron de NextRadio TV et propriétaire de « La Tribune », le conseil d'administration a ainsi été méticuleusement ouvert ces dernières années. Des administrateurs indépendants censés répondre aux exigences de gouvernance actuelles mais qui donnent aussi à Iliad des compétences que le groupe n'avait pas auparavant. Réglementation, avec Dominique Roux, ancien membre de l'Autorité de régulation des télécoms, et administrateur jusqu'en 2007. Organisation et gestion, avec Pierre Pringuet, directeur général de Pernod Ricard. Médias, avec Jean-Louis Missika, l'un des meilleurs spécialistes français du secteur. Ce dernier est aussi un proche de Bertrand Delanoë, dont il est adjoint à la mairie de Paris depuis l'an dernier. De quoi entretenir ses liens supposés avec la gauche ? « Jean-Louis Missika n'est plus administrateur. De plus, le maire de Paris ne s'est jamais prononcé sur la quatrième licence et la décision sera prise sous un gouvernement de droite », répond, hilare, un dirigeant d'Iliad. Soit. Pourtant, même si Xavier Niel déteste ce mot, le groupe a dû se mettre au lobbying. Depuis plusieurs mois, le groupe a confié cette tâche à Boury & Associés. Ce cabinet très réputé organise deux à trois fois par an des déjeuners avec les parlementaires, sur des sujets choisis par Iliad. Ces relations publiques, c'est Maxime Lombardini, directeur général d'Iliad, qui s'en charge. Jeune, et tout aussi engagé dans les combats de Free, cet ancien cadre de TF1 est néanmoins plus « organisé et plus fréquentable » que Michaël Boukobza, son prédécesseur à la direction générale. Infatigable bavard, sa fougue avait de quoi surprendre l'establishment politique. « Ses propositions étaient astucieuses mais parfois incongrues », se souvient un ancien ministre, qui a reçu le dirigeant plusieurs fois dans son bureau.Xavier Niel aime répéter qu'il n'est pas un homme de réseau. « Il n'y a aucun X-Télécoms et aucun énarque chez Iliad », assure un de ses proches. Il a pourtant participé le mois dernier à une table ronde sur l'économie numérique lors de l'université du Medef, provoquant les sourires amusés aussi bien de certains de ses amis que de ses détracteurs. « Il ne pouvait pas refuser l'invitation. Laurence Parisot a beaucoup soutenu auprès de Nicolas Sarkozy le projet de quatrième licence de téléphonie mobile », décode l'un de ses proches. Même s'il persiste dans son refus d'adhérer à un quelconque mouvement, Xavier Niel a bien compris les vertus de la Realpolitik. n« Pour la quatrième licence mobile, il a fallu rencontrer beaucoup de monde dans les ministères et au Parlement. Je suis devenu un peu plus ?politically correct?.»
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