La modernité de la question animale

Dans son autobiographie, le constructeur automobile américain Henry Ford raconte que c'est en visitant, adolescent, la chaîne des abattoirs de Chicago qu'il eut l'idée plus tard de concevoir le même type de chaîne d'assemblage pour ses véhicules. Que l'industrialisation de la mise à mort des animaux soit le paradigme de nos sociétés modernes en dit long sur notre inconscient social. Depuis trente ans, notre regard sur les animaux, sauvages, de compagnie et de consommation évolue, grâce notamment aux importants progrès de l'éthologie (science qui étudie les comportements animaux), qui a remis en cause nombre de préjugés, souvent plus que millénaires. Dans « l'Éthique animale », le philosophe Jean-Bapstiste Jeangène Vilmer fait un état des lieux, clair et instructif, de la richesse des débats et thèses - en large majorité anglo-saxonne depuis la parution en 1975 de « la Libération animale » de Peter Singer - qui ont cours dans notre rapport aux animaux en matière d'éthique. Ce petit livre constitue la meilleure introduction francophone à cette réflexion qu'avait initiée d'ailleurs en son temps le philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham (1748-1832). Il soutenait en effet que dans tous les débats sur le statut des bêtes, perçus par la tradition cartésienne comme des machines car n'ayant pas d'âme, la question à se poser n'était pas « peuvent-ils raisonner ? », ni « peuvent-ils parler ? » mais « peuvent-ils souffrir ? ». C'est ce thème que développe un jeune philosophe Tristan Garcia dans « Nous, animaux et humains », en notant qu'aujourd'hui « nous ne souffrons plus la souffrance des animaux ». Revisitant comment la philosophie mais aussi la littérature (Kafka, Coetzee) ont conçu le lien entre « eux et nous », il interroge cette nouvelle communauté que nous formons désormais avec les animaux. C'est d'ailleurs ce même lien qui est au coeur de la réflexion autobiographique de la brillante juriste Marcela Iacub. À partir d'un événement - la lecture d'un texte ancien de Plutarque -, elle connaît une révélation, une tragédie au sens propre, qui va bouleverser son regard sur son passé d'incontinente « mangeuse de viande ». Et cela donne lieu à un rare texte profond et subtil, sur ce qu'être humain signifie à la lumière de notre rapport aux animaux. Robert Jules « Éthique animale », par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, éditions PUF Que sais-je ?, 128 pages, 9 euros.« Nous, animaux et humains », par Tristan Garcia, Bourin Éditeur, 210 pages, 19 euros.« Confessions d'une mangeuse de viande », par Marcela Iacub, Fayard, 162 pages, 14 euros.
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