Enseigner les techniques de la négociation

Un processus de négociation est un dialogue à plusieurs acteurs dans lequel ces derniers, porteurs d'intérêts et de valeurs plus ou moins divergents et contradictoires, ont une volonté de parvenir à un compromis commun par les voies de la discussion pacifique. À travers la succession des propositions et des contre-propositions, chacun y menace l'autre de continuer à bloquer la situation, voire de lui infliger des surcoûts pour obtenir des avantages. Mais les acteurs, fondamentalement, s'échangent aussi des concessions. Si l'un parvient à tout remporter sans rien concéder, il ne s'agit pas réellement d'une négociation, et dominent ce que L. Bellenger nomme le passage en force, le stratagème, la polémique ou la disqualification, qui rendront le compromis instable et la régulation du conflit hypothétique. En sortant de la salle de négociation, chacun des acteurs devrait avoir le sentiment, à ce moment du temps, compte tenu du rapport des forces et d'autres facteurs, d'avoir obtenu ce qu'il devait obtenir, d'avoir concédé ce qu'il devait concéder. C'est plus globalement la réalisation de cet équilibre qui a vocation à créer, ou à renforcer dans une société, un contrat social qui ne se bâtit pas seulement dans les urnes, mais également au quotidien, dans les entreprises et sur les lieux de travail. En économie et sciences des organisations de nombreux chercheurs, rompant avec certains modèles et mythes dominants, montrent que les économies et gains réalisés conjointement par les entreprises et les salariés, à bien savoir négocier, ne sont pas minces. Leurs travaux prolongent ceux de R. B. Freeman et J. Medoff, et du théoricien de la prise de parole collective efficiente qu'est A. O. Hirschman.Dans une société où le chômage de masse et le sous-emploi sont à la fois massifs et structurels, où le taux de syndicalisation d'environ 8 % de la population salariée est faible, et qui se révèle de plus en plus anxiogène devant le risque de perdre son emploi et son statut, les salariés préfèrent, en moyenne, des formes de contestation diffuses, protéiformes, qui sont défavorables au militantisme mais diminuent les risques encourus pour les carrières. Et si les conflits des années 2000 prennent moins souvent les formes spectaculaires et coûteuses de la grève classique (le nombre de journées chômées pour fait de grève reste en France plus important que dans nombre de pays de l'Union européenne), les grèves dites perlées, ralentissant le travail ou créant des conditions de production défectueuses, l'absentéisme, le refus d'heures supplémentaires..., s'y substituent. Cela pèse à l'évidence, très fortement, sur les coûts de fonctionnement des entreprises et leur rentabilité. A contrario, la prise de parole syndicale canalise la tension sociale dans des revendications, soit des demandes précises, argumentées qui ont la propriété de pouvoir appeler des réponses cohérentes de la part des directions, et par suite d'être managées. Une revendication satisfaite d'échelle indiciaire interne, au vu de tous, économise les coûts d'organisation et de gestion de nombreux contrats de travail, facilite le management des carrières, permet de planifier l'avenir grâce aux exercices en aval de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences). En diminuant les inégalités internes, et les sentiments afférents d'iniquité, la négociation mobilise les salariés. Les études montrent que l'augmentation négociée des salaires peut générer directement davantage de motivation et de productivité. Qu'elle diminue les taux de turnover... Bref, les effets économiques et socio-économiques positifs de la négociation, une fois cumulés, font généralement plus que compenser, pour l'entreprise, l'impact coûteux des avantages concédés sur ses charges de production et son taux de rentabilité. Au sein des pays de l'OCDE, la France détient le record particulier du pays dans lequel s'est instaurée une sorte de climat permanent de défiance, et de guérillas entre le patronat et les syndicats de salariés. Alors même qu'aux États-Unis on enseigne couramment dans le supérieur la relation industrielle, depuis longtemps, la France ne développe toujours pas pour autant ses programmes éducatifs du bien savoir négocier. Une « épistémologie du syndicalisme », résumant en 2005 des travaux menés à l'université de Bourgogne, en fait le constat. Et pour envisager les réformes dès lors souhaitables, se fonder sur l'expérience des derniers de la classe européenne n'a pas grand intérêt.Malmené par le chômage de masse, souffrant d'un important phénomène de passagers clandestins, lié au fait qu'on y négocie pour tous les salariés qu'ils détiennent ou non une carte, le système de dialogue social français possède, même en connaissant certains travers, une véritable propension à défendre l'intérêt collectif des salariés qui mérite que ces derniers, bénéficiant d'un des premiers systèmes de Sécurité sociale au monde, le financent davantage. À côté du droit social français, les confédérations demeurent un instrument majeur pour garantir globalement le contrat social, et le faire évoluer vers davantage de responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE). Malgré les apparences, il n'est pas sûr que la loi d'août 2008, qui institue l'élection directe du délégué syndical « dans » l'entreprise, contribue vraiment à cette évolution.Ceux qui demain devront négocier ce contrat du mieux vivre ensemble, dont la globalisation financière devrait idéalement s'accommoder, plutôt que l'inverse, auront besoin d'être dûment informés et formés. Pour mener à bien un projet d'éducation à la négociation, mieux vaudrait alors s'inspirer de certains traits de l'économie allemande qui, selon des études récentes, semble devoir sortir plus vite que la France de la crise économique et financière actuelle.
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