« Wiesenthal était plein de contradictions »

STRONG>Pourquoi cette biographie de Simon Wiesenthal (1908-2005) ? J'écris sur la mémoire de l'holocauste. Or, Wiesenthal était une voix définitive sur ce sujet, même si elle était controversée. C'était un type extraordinaire qui a traversé le siècle. Il a tout connu : de l'arrivée des premières voitures en Pologne aux sites néonazis sur Internet. Le cours de sa vie est fascinant. Je m'en suis encore plus rendu compte en débarquant dans son petit bureau à Vienne. Là, je tombe sur une lettre d'Elisabeth Taylor lui écrivant « prends soin de toi ». J'ai mesuré à quel point ce simple petit survivant de la Shoah était devenu une personnalité reconnue dans le monde entier. J'ai découvert un homme complexe, avec une vie pleine de drames et d'aventures. L'un des passages les plus stupéfiants du livre concerne l'incroyable rapprochement effectué entre Wiesenthal et Albert Speer, le ministre de l'Armement de Hitler, à sa sortie de prison. Comment lui, le chasseur de nazi, a pu dire à son propos : « Nous avons tous commis des erreurs de jeunesses » ? J'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à comprendre aussi. Speer avait intérêt à cette relation pour réécrire sa biographie à son avantage, c'est d'ailleurs lui qui a sollicité la première rencontre. Mais du côté de Wiesenthal, c'est plus compliqué. Je crois que, pour lui, le fait qu'un bourreau souhaite rencontrer un petit juif torturé et survivant de l'holocauste est constitutif d'une grande victoire. Quant à cette fameuse phrase, peut-être que Wiesenthal considérait aussi avoir fait des erreurs. Il s'est notamment senti coupable de la déportation de sa mère. Cette relation avec Speer fût l'un des passages du livre les plus difficiles à écrire. Il montre à quel point Wiesenthal était un personnage complexe, plein de contradictions. Autre relation complexe, celle qu'entretenait Wiesenthal avec Bruno Kreisky, le charismatique chancelier autrichien social-démocrate, juif lui aussi...Kreisky joue un rôle important dans la vie de Wiesenthal et réciproquement. Ils étaient une sorte de miroir l'un pour l'autre. Kreisky était psychotique sur la question juive. Je m'en suis rendu compte en l'interviewant. Il était tellement préoccupé par son intégration dans la société autrichienne qu'il niait sa judéité. Or, par sa seule présence à Vienne et sa renommée, Wiesenthal, avec son accent d'Europe de l'Est et son sionisme affiché, était un danger pour Kreisky. Ce fût très violent entre eux. Wiesenthal a même dit : « Je peux vivre avec mes souvenirs, avec des néo-nazis mais pas avec un chancelier juif qui a dit que j'avais collaboré avec la Gestapo. » Vous semblez décrire Wiesenthal comme doté d'un ego démesuré, d'où cette « compétition » avec Elie Wiesel et les époux Klarsfeld...Oui, avec les Klarsfeld, il s'agit vraiment d'une bataille d'ego entre « chasseurs de nazis ». Beate Klarsfeld m'a mal reçue, juste parce que j'écrivais sur Wiesenthal. Avec Elie Wiesel, c'est un peu différent, il y a aussi un aspect idéologique. Pour Wiesenthal, la Shoah est un crime contre l'humanité parmi d'autres. Il a toujours défendu, par exemple, la mémoire des tziganes ou des homosexuels déportés. Pour Wiesel, à l'inverse, la Shoah est unique et ne peut être comparée à rien. « Simon Wiesenthal, l'homme qui refusait d'oublier », Editions Liana Levi ; 544p., prix : 25 euros.
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