Spéculation à la baisse : faut-il interdire totalement les ventes à découvert ?

Par Alexander Guembel, chercheur à l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE) et à la Saïd Business School (Oxford).

Ces dernières semaines, dans la plupart des pays occidentaux, les ventes à découvert de certains titres financiers en butte à des attaques ont été interdites, ce type de ventes étant accusé de précipiter la chute des cours pour le bénéfice de quelques-uns. De quoi s?agit-il?? Les ventes à découvert ("short sales") existent depuis longtemps. Des acteurs financiers, jugeant des titres surévalués par rapport à la valeur réelle d?une entreprise, ont la possibilité d?en emprunter et de les vendre. Si le cours de l?action diminue comme ils le pressentaient, ils dégagent une plus-value lorsqu?ils les rachètent, moins cher, à une date ultérieure.

Ce type de pratique présente un intérêt évident en période normale. Il permet à un grand nombre d?acteurs d?exprimer leur opinion sur la valeur des titres, sans forcément avoir à en posséder. Les pessimistes et les optimistes confrontent leurs perceptions et les prix s?ajustent de manière efficace. Ce mécanisme permet par ailleurs à certains agents financiers de couvrir leurs risques et, globalement, il accroît la liquidité du marché. Mais en période de crise, ces opérations spéculatives sont soumises aux feux des critiques. Elles ont été réglementées aux Etats-Unis dans les années 30, au lendemain de la crise de 1929. Aujourd?hui, on les accuse à nouveau d?accentuer la dégringolade des cours.

La question en réalité est plus complexe. Si de nombreux acteurs estiment en même temps que des titres sont surévalués et qu?ils jouent à la baisse, il est normal qu?une correction des prix s?opère. En revanche, il est problématique que des acteurs, n?ayant aucune information particulière quant à la valeur des titres, puissent gagner à ce jeu, simplement en raison de leur force de frappe. Or, nous avons montré dans un article de recherche que les ventes à découvert peuvent aboutir à des manipulations de marché. Lorsque le titre d?une firme chute fortement, cet affaissement des cours peut engendrer une baisse de la valeur réelle de l?entreprise ("feed-back"). Un acteur puissant, où plusieurs acteurs coalisés, en pariant ensemble à la baisse, déprécient ainsi l?entreprise visée pour leur propre intérêt. Ils peuvent la conduire à la faillite, en empochant des plus-values au passage.

Et c?est précisément ce qui est en train de se passer, selon les dirigeants de la SEC (Commission américaine des titres financiers et des Bourses), pour qui «la chute des prix actuelle amène les financiers à s?interroger sur la santé des firmes, provoquant ainsi une crise de confiance, sans que celle-ci soit dans tous les cas justifiée».

Faut-il pour autant interdire de manière globale et sur le long terme les ventes à découvert?? Certainement pas. En les interdisant, en effet, on évitera des manipulations du marché dommageables, mais on empêchera aussi qu?en période normale soient exprimées des opinions pessimistes légitimes. Le marché, en l?absence d?intervention d?un certain nombre d?acteurs informés, attribuera aux actions des prix qui correspondent imparfaitement à la valeur réelle des entreprises.

Les mesures récentes d?interdiction doivent donc rester temporaires. Il serait dangereux que les régulateurs cèdent à la pression des lobbies et les prolongent au-delà du nécessaire.

Par ailleurs, le fait d?interdire ces ventes à découvert pour empêcher la spéculation à la baisse permettra-t-il de restaurer la confiance envers les institutions financières?? Dans le cas évoqué par la SEC, les ventes à découvert ont accéléré leur chute, mais il existait bel et bien un doute quant à leur état de santé. Restreindre ces pratiques ne supprimera pas ce doute. Cela rendra le marché plus opaque, et plus malaisée la distinction entre les firmes saines et celles qui ne le sont pas. Or, on ne pourra pas améliorer la liquidité des marchés financiers sans que l?état de santé de ces institutions soit connu.

Les "hedge funds", très critiqués pour leurs spéculations, ont peut-être assaini le marché en punissant des institutions financières qui avaient gagné beaucoup d?argent en prenant des risques excessifs. Les décideurs qui ont choisi de restreindre les ventes à découvert pour protéger ces institutions font preuve d?une certaine bienveillance qui les encouragera probablement à prendre à nouveau des risques trop élevés en période faste. De manière paradoxale, c?est en fait la liberté d?action des hedge funds qui pourrait permettre d?éviter demain de nouveaux excès, et amener une meilleure régulation du marché.

 

 

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Commentaires 6
à écrit le 09/10/2009 à 15:03
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l expression "exprimer leur opinion sur la valeur des titres" est savoureuse ! je n ai pas vu de banque autoriser ses clients boursicoteurs a faire de telles operations SANS GARANTIE de leurs parts : c est peut etre revelateur des risques sousd jac...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La défiance d'un investisseur vis à vis d'une valeur c'est le "wall street walk" pour ce qui en ont en portefeuille, ou le "no go", pour les ceux qui n'en n'ont pas. Les warrants offrent des moyens de jouer la baisse d'un titre sans "polluer" le marc...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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avant d acheter une action il est interessant de savoir quel est le pourcentage de "shorts" par rapport au volume . interdire la vente a decouvert c est priver le marche d une tres bonne information. a vouloir lutter contre l'expression des opinion...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Il n'est nul besoin de spéculer à la baisse pour signifier sa défiance à l'égard d'une entreprise. Le "bon père de famille qui souscrit au capiatl d'une société dans une perspective de long terme n'a que faire des short sellers. S'il doit s'en soucie...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le problème aujourd'hui , c'est le développement frénétique des produits dérivés depuis une décennie qui permet à certaines banques de marger énormément et surtout beaucoup plus grave de masquer le risque . Ne trouvez vous pas bizarre que les banque...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est l'effet de levier potentiel des produits financiers, quels qu'ils soient qu'il faut réguler (à la baisse, bien entendu). Sur les ventes à découvert, l'effet de levier est infini !!! Et en amont, l'effet de levier produit par le crédit, qui se m...

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