Pour un G20 de l'automobile

Par Matthieu Courtecuisse qui est directeur général de Sia Conseil et Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Conseil et ancien membre du comité de direction de Renault.

Si les États membres du G20 constituent le centre financier de la planète, ils hébergent aussi la totalité de la production automobile mondiale et, par conséquent, ses surcapacités structurelles, évaluées à près de 20 %. Or, le secteur automobile traverse une crise majeure ? avec un recul des ventes estimé en 2009 à 15 millions de véhicules ? avec à la clé un véritable séisme pour l'emploi qui ne pourra être traité sans rupture industrielle et technologique. Il est légitime que les puissances émergentes cherchent à se doter d'une industrie nationale. Il est aussi compréhensible de voir les pays occidentaux lutter pour la survie de leurs industries historiques. Tous les éléments sont réunis pour produire un choc frontal dont l'issue serait le retour en force du protectionnisme, suicide collectif de la filière, déjà pénalisée par l'évolution de la demande des consommateurs anxieux face aux risques climatiques. Or, technologie et innovation, portées par le dialogue, peuvent permettre de trouver des compromis gagnant-gagnant. Il est temps d'agir de concert.

Depuis quelques mois, on constate le retour en force des États dans la filière automobile. Les pays occidentaux et le Japon étant confrontés à l'endettement exorbitant et aux passifs sociaux de leurs constructeurs, les pays émergents étant désireux d'atteindre la première marche de la sophistication industrielle en donant l'impulsion nécessaire à leurs constructeurs sur leur marché domestique. Si le secteur automobile reste d'essence multidomestique, les interdépendances sont prépondérantes grâce au "global sourcing" et les enjeux de volume dans une industrie fortement capitalistique restent considérables. Or, la configuration du marché pose problème à tous?: faiblesse de la marge opérationnelle en haut de cycle (inférieure à 5 % pour les généralistes), marge fortement négative en bas de cycle, forte déprime de la demande générale pendant au moins cinq ans, surabondance d'acteurs inamovibles alors même que la Chine dispose de près de quatre-vingts constructeurs automobiles, dont dix marques à vocation internationale et une surcapacité industrielle de près de 40 %. Pourtant, chacun reste aveugle et agit de son côté, y compris en Europe. Chaque État industrialisé veut sauver sa production ou son constructeur national à tout prix, car la pression sur l'emploi est phénoménale, la filière représentant 10 % des emplois privés en Europe comme aux Etats-Unis. De l'autre, chaque nouvelle puissance industrielle se bat pour conquérir sa part de production. Or, le financier principal sera le contribuable et le corollaire, le retour du protectionnisme, ce qui ne peut qu'accroître les risques de surcapacités et de sous-innovation.

Il faut donc créer les conditions d'un dialogue soutenu sur cette filière industrielle, en la croisant avec un sujet majeur, les émissions de CO2, l'autre grande négociation multilatérale à venir à Copenhague. Si Kyoto n'avait pu embarquer le volet transport, la prochaine négociation ne s'annonce guère mieux. La crise actuelle offre la possibilité unique et réelle d'un accord ambitieux sur ce point, en dessinant un compromis industriel, commercial et technologique entre nations du G20. Six priorités s'en dégagent?: définir les conditions d'assainissement des constructeurs automobiles des pays industrialisés, définir les conditions d'accès aux marchés occidentaux des constructeurs indiens et chinois, comme naguère les japonais, définir une charte des investissements à l'étranger, lancer un chantier normatif d'ampleur sur les technologies propres, partager des pratiques dans le rapport véhicule-centre urbain et s'engager sur un traité contraignant d'émission de CO2 par véhicule et par pays. Pour cela, il n'est pas nécessaire de réunir les chefs d'État. Des réunions ministérielles de l'industrie et de l'environnement du G20, articulées avec le G20 financier et la négociation de Copenhague, pourraient être tout à fait efficaces et adaptées. Idéalement, l'Europe, même si elle a échoué jusqu'à présent sur ce sujet, pourrait se montrer exemplaire, les États européens étant de toute façon contraints à négocier un accord au fur et à mesure qu'il faudra sauver quelques entreprises clés européennes.

S'il est essentiel que le système financier se redresse, le secteur automobile sera sans aucun doute au c?ur des tensions entre États. La crise de cet écosystème sera en effet le creuset de tensions sociales majeures pour les pays industrialisés en symbolisant la mondialisation malheureuse et des frustrations ingérables pour les pays émergents à qui on refuserait le développement industriel. Le dialogue est, là encore, nécessaire et indispensable.

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