"Un prix unique du carbone réduirait le coût de la dépollution"

A environ trois semaines de la conférence sur le climat à Copenhague, les chances d'aboutir à un accord international ambitieux sur le futur dispositif antiréchauffement paraissent très réduites. A l'occasion des Journées économiques de Lyon, aujourd'hui et demain, Jean Tirole (*) plaidera pour que la notion de marché mondial des droits d'émission négociables de CO2 soit replacée au centre des négociations climatiques.

Les négociations sur le climat sont en panne. Pourquoi ?
Dans l'anticipation d'un refus des Etats-Unis et des pays émergents d'adhérer à un accord sur des objectifs contraignants, les négociations ont porté sur des mesures-rustine complexes et inefficaces, renforçant ainsi la probabilité que les Etats refusent de s'engager. Dans ces conditions, on ne peut pas aboutir à de grandes décisions. Il faut revenir à une piste de négociation plus simple et plus efficace. En matière de climat, il existe un consensus très large chez les économistes sur le rôle déterminant que pourrait jouer un marché des droits d'émission négociables dans la perspective d'un nouvel accord limitant les émissions de gaz à effet de serre. Pour jouer son rôle, il faudrait que ce marché soit mondial contrairement au système d'échange européen, par définition régional. Ainsi, il permettrait de faire émerger un prix unique mondial du droit d'émission négociable. Tous les acteurs économiques seront amenés à payer leurs émissions et donc à acheter ou vendre des droits, directement pour les pays et entreprises, indirectement pour les ménages à travers l'augmentation des prix des produits riches en carbone liée à l'achat des droits par leurs fournisseurs, comme les raffineries.

Quel serait l'avantage d'un prix unique ?
Il est essentiel. Les autres expériences en matière de lutte contre la pollution montrent qu'un prix unique permet souvent de diminuer le coût de la dépollution d'un facteur deux ou trois par rapport à un système administré où coexistent des prix différents. Actuellement, les prix s'échelonnent entre zéro et 1.400 euros la tonne de carbone. Rappelons que sur le marché européen, le cours du permis négociable est d'environ 15 euros la tonne et la taxe carbone a été fixée à 17 euros, des niveaux considérés très nettement insuffisants pour combattre le réchauffement, mais qui trouvent leur justification dans le fait que les actions unilatérales ont des effets nettement moins satisfaisants qu'une lutte globale.

Un prix unique ne risque-t-il pas de faire fuir les pays qui rechignent à s'engager dans le futur accord climat pour des raisons de coût ?
Les pays en voie de développement ne veulent pas risquer de compromettre leur croissance par des actions de réduction des émissions de CO2. Ils réclament des transferts financiers importants. Mais la question de cette aide a été mal posée dans les négociations sur le climat. Chacun a en tête des transferts financiers sur fonds publics. Or, depuis des années, les Etats du Nord peinent à tenir leurs promesses en matière d'aide publique au développement ou pour lutter contre le sida. La meilleure solution est, selon moi, d'accorder aux pays en développement une allocation très généreuse de permis d'émissions. Avec un système reposant sur un marché du carbone, il sera possible d'accorder ces compensations aux pays qui ont le plus de difficultés à se fixer des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2. Cela a été fait par exemple aux Etats-Unis avec le SO2 pour lutter contre les pluies acides.

A quel résultat la conférence de Copenhague peut-elle aboutir ?
A quelques semaines de Copenhague, on ne peut pas espérer un accord idéal. Mais on peut encore aboutir à une bonne feuille de route qui définirait quelques actions précoces d'ici à 2015 et poserait le principe d'un marché des droits d'émissions négociables assorti d'un système d'allocations de droits. Cette feuille de route pourrait aussi prévoir une clause de subsidiarité permettant à chaque pays de décider dans quels domaines il prévoit de faire porter ses efforts de réduction des émissions. Elle jetterait aussi les bases d'une gouvernance internationale et prévoirait des mesures par satellites des niveaux de pollution des pays depuis l'espace. Il ne resterait plus alors qu'à concentrer les négociations sur les compensations, c'est-à-dire les conditions de distribution des permis d'émissions.

Le principe des allocations de droits d'émissions généreuses pour les pays très pollueurs ne risque-t-il pas de susciter des vocations de mauvais élèves ?
Il faut en effet que cette décision soit prise une fois pour toutes. L'anticipation de nouveaux droits octroyés à l'avenir aux mauvais élèves donne des incitations perverses. Ceci est de fait une des inquiétudes principales vis-à-vis de l'"accord après Kyoto" qui pourrait être signé à Copenhague : en l'absence d'objectifs contraignants, non seulement les pays pourraient continuer à se reposer sur les autres pour faire un effort, mais ils risquent de réaliser qu'un parc polluant sera un atout pour obtenir des concessions lors des négociations sur l'après-après Kyoto en 2020.

 

(*) Jean Tirole, président de l'Ecole d'économie de Toulouse est aussi directeur scientifique de l'Institut d'économie industrielle (IDEI). Il est également auteur du rapport du Conseil d'analyse économique : "Politique climatique : une architecture internationale" (La Documentation française).

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