La microfinance ignore la crise

Par Arvind Ashta, titulaire de la chaire en microfinance, ESC Dijon Bourgogne.

Le succès du microcrédit à travers la planète est indéniable et les taux de remboursement élevés des entrepreneurs pauvres qui en bénéficient sont bien connus. Un certain nombre de corollaires se sont ainsi développés : la microépargne, la microassurance et les micropaiements. On compte aujourd'hui plus de 10.000 institutions de microfinance (IMF), qui réalisent des opérations totalisant plus de 40 milliards d'euros auprès de 150 millions de pauvres, essentiellement des femmes. Sur ces 10.000 établissements, environ 2% ont l'envergure nécessaire pour être rentables. Ces 2% fournissent l'essentiel du financement sur le secteur.

La crise financière que nous connaissons depuis deux ans affecte-t-elle ce tableau et freine-t-elle les perspectives de la microfinance ? Aujourd'hui, on observe deux effets principaux de la crise financière sur la microfinance. D'un côté, les taux de non-remboursement des microemprunteurs ont augmenté, comme le montre l'exemple marocain (pourtant pays vedette de la microfinance il y a encore deux ans...). D'un autre côté, la croissance du nombre de prêts accordés continue car la microfinance reste essentiellement informelle et alimente principalement des activités qui ne sont pas liées à l'économie mondiale, hormis les agricultures commerciales et les activités liées au tourisme.

En fait, chaque IMF est liée à l'économie des deux côtés de la chaîne d'approvisionnement : en amont, les bailleurs de fonds leur fournissent l'argent ; en aval, les IMF procurent des fonds aux entrepreneurs pauvres. Pour mesurer l'impact de la crise financière, il faut examiner ces deux volets. En amont, de nombreuses IMF (souvent bancaires) sont désormais financées par l'épargne des pauvres, comme au Bangladesh. Dans d'autres pays comme l'Inde, où la loi ne permet pas aux IMF d'accepter ce type de dépôts, on assiste à l'augmentation du crédit commercial aux IMF par des banques nationales. Dans ces deux cas, la microfinance n'est pas dépendante de la finance internationale, ce qui explique pourquoi elle n'est pas contrainte par la crise.

En aval, même si une IMF finance le secteur informel, le problème vient du fait que la microfinance est souvent utilisée pour nourrir les fonds de roulement des entrepreneurs. Dans les périodes de croissance, ces derniers ont besoin de fonds plus importants et donc d'un financement correspondant. Or, en période de crise, on peut croire que le besoin en fonds de roulement est moins important. Mais tel n'est pas le cas car l'entrepreneur n'arrive pas à vendre son inventaire ni à collecter ses dettes. Ainsi, même en période de crise, ses besoins de financement restent importants pour combler ses pertes qu'il espère temporaires.

Par conséquent, qu'un microentrepreneur soit touché ou non par la crise, il aura toujours besoin de plus en plus de financement. Il est donc difficile pour une IMF d'être en situation de stagnation : un effet boule de neige perpétuel est intégré à son évolution. Des taux d'intérêt moyen de 28% dans le monde indiquent qu'une rentabilité élevée des microentrepreneurs et des taux élevés de croissance de leurs microentreprises sont nécessaires pour payer ces taux d'intérêt importants.

Finalement, le financement des IMF n'est pas affecté par la crise puisque les dépôts ont remplacé le ralentissement des prêts de fonds importants. De plus, le renouvellement des besoins des microentrepreneurs existants ainsi que les nouveaux prêts font que le secteur continue de croître. Egalement, la croissance rapide de la microfinance et les taux élevés de remboursement par le passé ont rendu les IMF complaisants vis-à-vis du modèle d'affaires de leurs clients, ce qui engendre aujourd'hui des taux de non-remboursement élevés. Ces derniers ont augmenté depuis que quelques microentrepreneurs s'insèrent dans l'économie formelle par le biais de services aux touristes.

La crise économique mondiale augmente cette vulnérabilité. Mais si la croissance générale de la microfinance est en question à moyen terme sur des marchés saturés comme le Bangladesh, la Bolivie ou la Bosnie-Herzégovine, elle a encore de beaux jours devant elle avec tous les emprunteurs potentiels qui restent sur notre planète. Tant qu'il y aura des pauvres...

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