Delta du Niger : l'autre "11 septembre écologique"

Par Thomas Porcher, professeur à l'ESG et Simon Porcher, maître de conférences à l'IEP Paris.

Le 20 avril dernier, l'explosion de la plate-forme pétrolière "Deepwater Horizon" est le début d'un véritable "11 septembre écologique". Les fuites provoquées par l'explosion ont laissé s'échapper tous les jours 20.000 à 40.000 barils de pétrole, soit 3,1 à 6,3 millions de litres. Au final, 200 millions de litres de pétrole - quatre fois plus que "l'Exxon Valdez" - ont été déversés en à peine trois mois dans le golfe du Mexique. La marée noire aura été également très coûteuse pour l'économie américaine - de 10 à 100 milliards de dollars  et pour la compagnie pétrolière BP, détentrice de la plate- forme, qui va devoir faire face à plusieurs centaines de milliers de demandes d'indemnisation. Au final, une douzaine de solutions - des plus classiques aux plus innovantes en termes de géo-ingénierie - a été mise en oeuvre pour ralentir, puis arrêter, la fuite de pétrole et nettoyer la nappe de pétrole.

À 9.000 km au sud-est du golfe du Mexique, dans le delta du Niger, une marée noire permanente est tout aussi destructrice pour l'environnement, dans une indifférence quasi générale.

Depuis 1958, plus de 13 millions de barils de pétrole, soit 2 milliards de litres, ont été déversés dans cette zone géographique à l'écosystème extrêmement fragile. En ordre de grandeur, cela représente 10 fois la marée noire du golfe du Mexique et 40 fois celle de "l'Exxon Valdez". Comme si, chaque année, un supertanker faisait naufrage dans le delta sans que l'opinion publique mondiale ne s'en émeuve.

Si le delta du Niger est la zone qui a connu la plus forte augmentation du nombre de barils produits en haute mer ces vingt dernières années, les fuites en cause proviennent pour l'essentiel d'oléoducs terrestres. Le niveau de contamination n'est pas pour autant moins important que dans le golfe du Mexique : toute l'économie locale a été ruinée. Dans un rapport publié il y a tout juste un an, Amnesty International, une organisation non gouvernementale, insistait sur les conséquences humaines de la catastrophe : l'eau et les terres étant complètement souillées, l'agriculture et la pêche - principales ressources économiques hors pétrole - sont désormais impossibles. Au final, les 30 millions d'habitants du delta pâtissent durement de l'exploitation pétrolière, sans bénéficier pour autant de la rente pétrolière.

La principale compagnie en cause, la britannique Shell, se défend en évoquant l'importance du vandalisme dont elle est victime. Selon la compagnie pétrolière, 98% des fuites seraient dues à des actes de sabotage et de vol consistant à percer les oléoducs. Il est vrai que la situation du delta du Niger est exceptionnelle puisque Shell totalise 40% de ses fuites dans cette zone. Mais compte tenu de l'âge de son réseau d'oléoducs dans la zone contaminée (40 ans en moyenne quand la durée de vie est en théorie de 25 ans), l'explication la plus vraisemblable pourrait être que le remplacement du réseau coûte plus cher que de laisser fuir un pétrole plutôt bon marché.

Pourquoi devrions-nous nous sentir responsables de la tragédie du delta du Niger ? Tout simplement parce que l'Afrique consomme 10 à 15 fois moins de pétrole par habitant que les pays du Nord. Les populations africaines payent en quelque sorte notre dépendance à l'or noir. La marée noire du delta du Niger semble par ailleurs être la plus inquiétante pour l'avenir : si les fuites de la plate-forme "Deepwater Horizon" sont désormais réparées, celles du delta du Niger ont quadruplé entre 2007 et 2009. La pression médiatique pourra peut-être enfin donner l'impulsion nécessaire à la mise aux normes du réseau d'oléoducs et à l'indemnisation des populations. À l'image de la nouvelle régulation sur la sécurité des plates-formes pétrolières, c'est une réflexion en profondeur qui doit être menée au niveau des institutions internationales sur les industries extractives et leur impact sur les populations locales.

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