Un sommet du G20 en trompe-l'oeil

Par Olivier Lecomte, professeur d'économie et de gestion à l'École Centrale de Paris

Dans son « Dictionnaire des idées reçues », Flaubert, s'il avait vécu à notre époque, aurait pu écrire : « G20 : assemblée de notables toujours souriants unis dans une ferme résolution de s'entendre sur tout ce qui les divise ». À lire les commentaires qui ont suivi la réunion des ministres des Finances du G20 la semaine dernière, la fiction fonctionne toujours bien, puisque la plupart ont salué la volonté annoncée d'éviter une guerre de changes.

Je ne voudrais pas gâcher la fête, mais la confrontation entre les déclarations antérieures et les actes incite à un peu de scepticisme. Les communiqués diffusés après les quatre derniers sommets contenaient tous des proclamations enthousiastes sur la volonté de coopérer dans des domaines aussi variés que la régulation financière, le rééquilibrage des échanges, les plans de relance, etc. : en réalité, chacun a élaboré sa propre stratégie sans concertation, il suffit de penser à la cacophonie autour de la taxe bancaire. Après Pittsburgh, en septembre 2009, on pouvait lire un paragraphe émouvant où les dirigeants s'engageaient à « ne ménager aucun effort pour parvenir à un accord au sommet de Copenhague sur l'environnement » : on connaît le fiasco qui suivit trois mois plus tard. À Toronto - il y a seulement quatre mois - fut évoquée la nécessité de réduire la volatilité des taux de changes : depuis, l'euro et le yen se sont appréciés de 15 % face au dollar. Sans parler des politiques orthogonales de la Réserve fédérale américaine (Fed), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque d'Angleterre (BoE). Les « progress reports » établis par le G20, censés montrer la traduction des paroles en actes, s'abstiennent pudiquement d'examiner la cohérence des mesures mises en oeuvre. On comprend pourquoi !

Certes, certaines leçons de l'histoire ont été retenues et le monde n'a pas basculé dans le délire protectionniste des années 1930, mais de là à prendre pour argent comptant les intentions affichées, il y a un pas immense. Cela signifie en particulier que les marchés financiers - surtout les acteurs les plus agressifs - qui se nourrissent beaucoup de la multitude de divergences et d'incohérences qui existent entre les États, ont encore de beaux jours devant eux. Leur volatilité tient largement à l'absence de coordination des politiques économiques et d'inscription de celles-ci dans la durée. En cela, sans les exonérer de leurs responsabilités, on peut considérer qu'ils sont tout autant une cause de désordre que le symptôme d'une déficience radicale de la gouvernance économique mondiale.

Le G20 n'a d'utilité que s'il ne se limite pas à une opération de communication. Non seulement il faudrait que ses membres décident de rendre certaines décisions contraignantes, mais celles-ci devraient être suivies et évaluées par un organe indépendant, et ses communiqués repris avec prudence. Et puis, à plus long terme, il faudra se rendre à l'évidence : le monde a changé profondément et les structures héritées de la Seconde Guerre mondiale sont dépassées. Le passage du G7 au G20, et même la réforme du Fonds monétaire international (FMI), ne sont que des ajustements à la marge. Les politiques demeurent nationales et la compétition internationale primaire, alors que des interdépendances profondes - à commencer par le climat - unissent aujourd'hui, bon gré mal gré, tous les pays de la planète.

Plus que jamais la théorie des jeux s'applique, et l'équilibre sous-optimal perdure, car il est illusoire de penser que ce que l'un perd, l'autre le gagne, comme dans le mercantilisme. Il faudra au monde une gouvernance à la hauteur de cette nouvelle donne. Nous en sommes très éloignés, mais des propositions intéressantes autour de la notion de « souveraineté responsable » ont été formulées par divers auteurs : le G20 ferait bien de s'en saisir.

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