Pour une nouvelle politique industrielle européenne

Dans sa recherche d'une plus grande compétitivité, l'Europe ne doit pas abandonner son industrie. Elle doit « mondialiser » son tissu industriel, en choisissant les secteurs à privilégier. S'agissant de l'automobile ou des énergies renouvelables, la bataille est loin d'être perdue.
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Sur certains aspects, le monde a plus changé dans les 50 dernières années que dans les 18 siècles précédents. Croissance de la population, explosion du PIB (multiplié par 83 en 200 ans !), mondialisation des échanges, le monde est aujourd'hui structuré autour de quatre grands modèles interdépendants. Dans ce cadre, et compte tenu du bouleversement des rapports de force avec une montée en puissance inédite des Bric, quelle peut être la place de l'Europe dans le monde de demain ?

L'Europe a construit un cadre institutionnel, et représente maintenant un espace économique globalement uni. De plus, l'Europe dispose d'atouts industriels majeurs et sans comparaison avec son poids en termes de population. L'Europe reste globalement le premier acteur économique mondial, avec un PIB supérieur à celui des États-Unis.

L'Europe a permis l'émergence de groupes leaders mondiaux dans les principaux secteurs, de l'aéronautique au luxe, en passant par la pharmacie, l'automobile ou l'assurance. Par ailleurs, certains pays d'Europe, l'Allemagne en particulier, possèdent un tissu industriel de grosses PME performantes, qui lui ont permis de mieux résister à la crise et de repartir sur des bases de croissance impressionnantes, notamment tirées par les exportations.

Il n'en demeure pas moins que l'Europe souffre de désavantages structurels incontestables. La population vieillit, avec près de 20 % de plus de 65 ans, contre 5 % en Inde et 8 % en Chine. Le coût du travail reste structurellement élevé, plus cher qu'au Japon et aux États-Unis, et sans comparaison possible avec la Chine ou l'Inde. L'Europe souffre par ailleurs des évolutions de taux de change et si l'on peut se féliciter de l'existence de l'euro et de son rôle croissant en tant que monnaie internationale, on ne peut occulter le fait que sa force face au dollar ou face au yuan pénalise nettement nos exportations.

Enfin, la capacité d'innovation en Europe est aujourd'hui contestée, et elle le sera encore plus demain. La Chine forme 500.000 diplômés de l'enseignement supérieur chaque année, l'Inde 300.000, dont 10.000 PhD. Au-delà de la formation, l'investissement en R&D en pourcentage du PIB est en constante augmentation en Chine, alors qu'il est stable en Europe et aux États-Unis.

Ces handicaps structurels sont des explications majeures des trois grands problèmes que connaît l'Europe aujourd'hui. Le premier est une désindustrialisation croissante, avec une accélération majeure ces dernières années. En trente ans, le nombre d'emplois industriels en France est passé de 5,8 à 3,5 millions, soit une perte de 40 % des emplois industriels. Les États-Unis et l'Angleterre ont suivi la même voie, seule l'Allemagne a plutôt bien résisté, en ne perdant que 600.000 emplois industriels.

Pendant ce temps, la Chine a, elle, créé près de 50 millions d'emplois industriels ! Ces chiffres peuvent bien sûr être relativisés par le fait que les pays « riches » ont su créer des emplois de service qualifiés. Il n'en demeure pas moins qu'un pays ne peut durablement vivre sur une seule économie de services, qui sont d'ailleurs souvent des services de proximité non exportables.

Déficit commercial ensuite, avec là encore une dégradation inquiétante de la balance commerciale entre l'Europe et la Chine, passée d'un solde négatif de 14 milliards de dollars en 1996 à 122 milliards en 2009, soit une multiplication du déficit par 9. Enfin, des déficits des finances publiques qui touchent l'ensemble des États européens, et ont été encore dégradés par les plans de relance initiés par les États en 2008-2009.

Face à ces handicaps, l'Europe, si elle souhaite maintenir sa place dans le concert économique mondial, doit orienter son action politique dans deux directions majeures : d'une part, améliorer sa compétitivité économique pour retrouver le chemin de la croissance ; d'autre part, renforcer et mondialiser son tissu industriel et « choisir » les secteurs à privilégier. Si certains secteurs ont déjà été largement transférés dans les pays à bas coûts (textile, électronique, chantiers navals), la vraie bataille économique se joue sur certains secteurs clés, comme l'automobile ou encore les énergies renouvelables.

L'Europe est donc aujourd'hui à la croisée des chemins. Avec ses forces et ses valeurs, elle a des qualités pour peser sur le monde, reste à s'en donner les moyens en renforçant l'intégration politique, en mettant en oeuvre une véritable politique industrielle au niveau européen, et en soutenant son économie par une politique monétaire adaptée.

Par Vincent Mercier, vice-président de Roland Berger ; Bernard Ramanantsoa, directeur général du Groupe HEC ; François Lenglet, directeur des rédactions de « La Tribune ».

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