Empêcher les faillites coûte cher

On court de grands dangers à dire qu'une banque ou un État est « too big to fail », trop gros pour faire faillite. Il faut reconstruire un mécanisme de responsabilité des créanciers privés pour redonner de la crédibilité aux prix et aux risques sur les marchés financiers.
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L'actualité économique des dernières années a été marquée par une faillite majeure, celle de Lehman Brothers, et par la crainte de nombreuses autres, allant jusqu'à celles auparavant impensables d'États européens. Tout a donc été entrepris pour essayer d'empêcher le défaut d'un émetteur, souvent à très grands frais, afin de ne pas susciter la panique des marchés et de minimiser autant que possible les risques systémiques.

Les événements qui ont suivi la faillite de Lehman ont pu donner le sentiment que, si cette banque avait été sauvée, la crise aurait pu être évitée ou être moins virulente. C'est au contraire en évitant artificiellement des faillites au préalable (et notamment celle de la banque Bear Stearns) que l'on a conduit les marchés à croire que tous les autres défauts seraient empêchés. L'effet de surprise, le sentiment que d'autres événements de la sorte étaient envisageables et que le « too big to fail » n'avait plus cours ont mis un terme brutal à cette période d'illusions où le risque semblait plus théorique que réel, alors même qu'il était rémunéré...

Une situation identique prévaut avec la crise de la dette souveraine. Les signaux envoyés vont dans le sens d'une garantie totale, in fine, des États les plus fragiles. Difficile dès lors de ne pas donner le sentiment d'un « free lunch » parfait à des investisseurs... Si la dette d'un État européen est rémunérée plusieurs centaines de points de base au-dessus du niveau de la dette allemande, mais qu'il est de toute façon prévu que l'Allemagne, notamment, assure son remboursement, pourquoi se priver ?

C'est bien le sens des préoccupations émises récemment par le gouvernement allemand et dans les derniers travaux du « think tank » européen Bruegel (*). Il faut partout des mécanismes de responsabilité pour donner de la crédibilité aux prix et aux risques sur les marchés. Autrement dit, s'il faut restructurer la dette d'un pays, les créanciers privés doivent subir des pertes sur les montants qu'ils avaient prêtés, sans quoi la rémunération élevée du risque lié à l'emprunt consenti auparavant aura été injustifiée. Bien entendu, les conséquences pour un pays de la restructuration de sa dette sont lourdes, supposant des réformes difficiles et un accès au crédit très compliqué. Mais c'est justement ce qui permet l'assainissement. Et cela n'a rien de dramatique à long terme : le Brésil, aujourd'hui en pleine forme, faisait partie des pays émergents dont la dette était restructurée par le plan du secrétaire au Trésor américain Nicholas Brady, il y a vingt ans. Mais le Trésor américain apparaît aujourd'hui moins bien placé pour coordonner la restructuration de la dette de pays défaillants...

Ce qui vaut pour des États est vrai a fortiori pour des émetteurs privés : la rémunération du risque doit correspondre à une probabilité de défaut réel, sans garanties implicites ou cachées. Sinon, la prise de risque peut devenir totalement excessive. Et le soutien donné à des emprunteurs exorbitant. C'est exactement ce qui s'est passé lors de la dernière bulle du crédit, alimentée par la politique monétaire menée par la Réserve fédérale américaine au tournant des années 2000. Sans une juste appréciation du risque des portefeuilles de crédit immobilier aux États-Unis, leur titrisation, pourtant bien rémunérée, a suscité un appétit disproportionné. L'offre étant trop élevée car le risque mal pris en compte, la demande, encouragée par la politique monétaire de taux bas, ne pouvait qu'être satisfaite de manière excessive. Jusqu'au jour où l'ampleur des crédits souscrits est apparue insoutenable au regard de la solvabilité des emprunteurs, y compris celle des agences semi-publiques américaines qui intervenaient dans le processus, renforçant l'ambiguïté sur la réalité des risques pris par les prêteurs.

Contrairement à ce qu'affirment leurs contempteurs, les marchés financiers ont fonctionné dans cette crise en parfaite conformité avec la théorie économique : l'information erronée, voire trompeuse dans certains cas, qui conduisait à des opportunités de rendement anormales, a suscité une phase de défiance généralisée. Car la qualité de l'information, sa diffusion et la possibilité de l'évaluer sont des piliers fondamentaux du fonctionnement de l'économie de marché. Si l'information est parcellaire ou insuffisante, s'il y a du risque, il faut le rémunérer. Mais toute asymétrie dans l'information, dans l'appréciation du risque pris à cause de garanties supposées ou cachées, conduit nécessairement à des déséquilibres qu'il faut ensuite solder au prix fort.

Si une faillite est toujours un événement malheureux, si le défaut d'un emprunteur est toujours préjudiciable, tordre la réalité au-delà du raisonnable pour les éviter est encore plus dangereux. Il en va d'une crise comme des faillites : leur survenance est dans la nature de l'économie. S'il faut bien entendu en gérer les conséquences, vouloir les empêcher absolument ne fait que les reporter à plus tard, en plus violent. Et en plus grave pour l'économie réelle.

(*) Note de Bruegel du 9 novembre 2010 : « A European Mechanism for Sovereign Debt Crisis Resolution : a Proposal », François Gianviti, Anne O. Krueger, Jean Pisani-Ferry, André Sapir, Jürgen von Hagen.

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