La bouilloire et le TGV

Un marché immense, mais des risques importants. La Chine, par sa taille et son dynamisme, fascine nos industriels, mais ses méthodes les inquiètent. Certains se jettent à l'eau néanmoins. Retour sur leurs façons de se protéger et sur leurs succès.
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Réussir à développer ses affaires en Chine sans y perdre son âme et ses technologies : tel est le dilemme auquel sont confrontés nombre d'industriels occidentaux tentés par ce marché gigantesque. L'exercice est délicat. Certains s'y sont brûlé les ailes. D'autres tentent de se définir une ligne de conduite. Quelques-uns y réussissent aussi. Et même dans des secteurs très concurrentiels.

La Chine fait tout à la fois peur et envie. Devenue en 2009 le premier marché au monde pour l'automobile, elle occupe la même place dans la construction de centrales électriques, qu'elles soient nucléaires ou thermiques. Sur les 52 gigawatts de capacité nucléaire en construction d'ici à 2020 sur la planète, plus de la moitié (27 GW) le sont en Chine. Dans le ferroviaire, le pays prétend construire 20.000 kilomètres de lignes TGV dans la décennie qui s'ouvre. Et dans l'aéronautique, les experts chiffrent à 4.000 appareils les besoins de la Chine dans les vingt ans à venir.

Dans tous ces secteurs, la France aligne des champions qui regardent ces marchés avec convoitise. Difficile, quand on s'appelle Airbus, Alstom ou Areva de dédaigner un potentiel aussi alléchant. « La Chine représente déjà 10 % de notre flotte installée et, demain, ce sera 20 % », se réjouissait fin décembre, lors d'un colloque sur l'industrie à Bercy, le PDG de Safran, Jean-Paul Herteman, qui vient de signer une jolie commande pour motoriser le C919, le futur avion chinois.

Mais, dans le même temps, le patron de Safran se défendait d'avoir ainsi fait entrer le loup dans la bergerie en aidant ce futur rival chinois d'Airbus. Et de rappeler que son groupe a toujours tenté des paris audacieux, son rôle de motoriste étant de « servir tous les systémiers et grands ensembliers ». Si le contrat de Safran fait grincer quelques dents, c'est que les exemples sont nombreux d'industriels contraints de céder leurs technologies pour avoir accès au marché chinois mais trahis ensuite par leurs ex-partenaires. Dans le ferroviaire, par exemple, la Chine a commencé par acheter des trains à grande vitesse à tous les fournisseurs de la planète en leur imposant de transférer leur technologie. Alstom a refusé. Mais son rival japonais Kawasaki a dit banco. Il a livré, à partir de 2004, neuf exemplaires de son Shinkansen. Les 51 suivants ont été entièrement construits en Chine par China South Locomotive & Rolling (CSR), à l'aide des technologies de Kawasaki. Sur les appels d'offres internationaux, CSR taille aujourd'hui des croupières à Alstom, Siemens ou Bombardier avec son CRH qui roule à 350 km/h.

Cette menace, Safran tente de la contrer. « Notre politique, en matière de transfert de technologie, est de penser qu'on peut garder une génération ou une demi-génération d'avance, explique Jean-Paul Herteman. Si on accepte le transfert, il faut le faire payer et réinvestir ces recettes en recherche et développement. » Plus facile à dire qu'à faire. Mais comment agir autrement dans un marché aussi mondialisé ? « On ne peut pas penser industrie sans penser exportation », estime le PDG de Safran. La Chine représente un marché si vaste qu'il est difficile de le bouder. Essilor, le leader mondial des verres optiques, s'y est implanté industriellement depuis de nombreuses années. Mais, là encore, avec prudence. « Les machines-outils qui nous permettront de corriger jusqu'au centième de dioptrie, c'est en France que nous les gardons », assure Xavier Fontanet, le président du groupe.

Seb, le leader français du petit électroménager, s'est lui aussi lancé très tôt en Chine. Avec le rachat d'une entreprise locale, Supor, un « modeste vendeur de casseroles et d'aspirateurs », expliquait récemment Jean-Pierre Lac, le directeur financier de Seb lors d'une table ronde organisée par Schroders. « Avec des salaires locaux de 2 dollars de l'heure, contre 25 euros en France, il est difficile de se battre. Mais ce que nous pouvons faire, c'est essayer de comprendre ce dont les consommateurs de ces pays ont envie. Gagner du temps, de la place, s'offrir un joli design... » Le meilleur succès de Seb en Chine ? La bouilloire électrique ! Dans un pays grand consommateur de thé, cet ustensile était inconnu. « Nous avons créé ce marché au Japon il y a cinq ans, puis en Chine. Il atteint aujourd'hui près de 2 millions d'unités par an. »

Se contenter de bouilloires quand on ne peut plus vendre de TGV, la consolation peut sembler bien maigre. L'exemple de Seb ouvre néanmoins des pistes. S'il nous est impossible de rivaliser avec les coûts salariaux des Chinois, nous pouvons leur faire miroiter notre art de vivre ou notre créativité.

dr

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