Et maintenant, le risque de guerre...

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef "Editoriaux et opinions" à La Tribune.
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Bienvenue dans le troisième tour, social et géopolitique, d'une crise qui, comme l'écrit Martin Wolf dans le Financial Times du 2 février, a pour principale conséquence d'accélérer l'arrivée de notre futur. Accélération du basculement du monde, de l'Occident en déclin vers l'Asie en devenir ; accélération de la montée en puissance de la Chine, au détriment de l'Amérique ; mais aussi, en plus positif, accélération de la réaction politique de l'Europe face au risque d'éclatement de l'euro et de marginalisation économique... Les exemples ne manquent pas.

Les récents événements de Tunisie et d'Egypte, pour très imprévisibles qu'ils soient encore, participent de la démonstration : pour le meilleur - l'émancipation démocratique des populations des pays arabes - comme pour le pire : l'apparition d'un risque géopolitique majeur dont l'ombre risque de planer longtemps sur le monde qui vient.

Deux déclarations récentes, de deux hauts responsables français et socialistes d'institutions internationales, éclairent cette nouvelle menace. La première émane de Pascal Lamy, le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, la bête noire des opposants à la mondialisation. "La hausse du prix des aliments provoque une inflation mondiale, sans compter des troubles politiques que nous aurions pu difficilement imaginer", a-t-il déclaré lundi. Une pierre dans le jardin de Nicolas Sarkozy qui a mis la spéculation sur les matières premières au coeur de sa présidence du G20.

Reste que, pour l'Occident, la crise égyptienne est un défi pour la stabilité du monde, en raison de la poudrière du Proche-Orient. La menace d'un blocage des routes stratégiques du pétrole (canal de Suez) ou d'une déstabilisation politique dans tous les pays arabes producteurs a déjà fait flamber le prix du baril à plus de 100 dollars. Le possible encerclement d'Israël par des régimes hostiles (Liban, Iran, demain Égypte peut-être) augmente le risque d'une guerre, régionale ou mondiale, donc de troisième choc pétrolier, craignent les plus pessimistes, comme pour justifier le mur de Realpolitics et d'hypocrisie qui accompagne, à l'Ouest, l'aspiration de la jeunesse arabe à se débarrasser de dirigeants vieux, usés et fatigués.

Guerre ? Le mot tabou a été prononcé cette semaine par un autre haut responsable, français et socialiste, d'une institution internationale. Dans un discours prononcé à Singapour, Dominique Strauss-Kahn a mis en avant les nouvelles menaces économiques que craint le FMI : "alors que les tensions entre les pays s'accroissent, nous pourrions assister à une montée du protectionnisme, sur le plan commercial et financier [...], voire une instabilité sociale et politique croître entre les nations, et même la guerre", a énoncé le directeur général du FMI. Entendre le probable candidat à la présidence de la République en France, et donc principal partenaire et compétiteur du président français du G20 au cours des douze prochains mois, évoquer publiquement le mot guerre, même en anglais, n'est pas anodin.

DSK dénonce ainsi les vices d'une reprise à deux vitesses et souligne la persistance de dangereux déséquilibres économiques et sociaux. Déséquilibres entre les pays : la faible croissance aux Etats-Unis et en Europe, la surchauffe en Chine et dans certains pays émergents font réapparaître les déficits extérieurs à l'origine de la crise de 2008. Donc, pour le FMI, on sort de la crise à reculons. Mais déséquilibres croissants aussi à l'intérieur des pays : pour Dominique Strauss-Kahn, les niveaux du chômage et des inégalités de revenus ne permettent pas d'assurer une croissance soutenable à long terme. Si le directeur général du FMI voulait démontrer qu'il est de gauche, il ne s'y serait pas pris autrement !

Chacun pressent que la crise de 2008 a été un tournant. Tout le laisse entendre et pourtant ce n'est pas encore démontré. Après une phase de prise de conscience et de réparation, surtout réservée au système financier, la tendance au retour au monde d'avant prévaut, au risque de semer les germes d'une nouvelle crise. Au risque surtout d'être rattrapés par l'imprévisible, ou même, comme c'est le cas dans le monde arabe, de le provoquer...

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