Guerre des Bourses : David contre Goliath (s)

Après un certain attentisme, les Bourses historiques sont contraintes de réagir dans l'urgence face au succès des plates-formes alternatives. Mais tous les opérateurs vont devoir s'adapter aux nouvelles exigences réglementaires et à la croissance fulgurante des marchés asiatiques.
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Soufflerait-il un vent de panique sur nos institutions boursières plusieurs fois centenaires ? C'est en tout cas l'impression qu'ont pu donner à chaud les annonces transatlantiques spectaculaires du 9 février. A peine publiés, en effet, les bans du leader européen London Stock Exchange et du canadien TMX, c'est la forteresse allemande Deutsche Börse et le leader mondial Nyse-Euronext qui dévoilaient leurs intentions de mariage. Ce nouvel ensemble représentera une part écrasante des volumes échangés en Europe : presque 30% des actions et plus de 80% des dérivés listés. Mais certains diront sans doute aussi que ces annonces étaient inéluctables, tant la consolidation des opérateurs boursiers est aujourd'hui devenue une évidence, alors que la part de marché des Bourses historiques s'effrite chaque mois davantage et n'est plus que de 70 % aujourd'hui sur les actions européennes. Depuis 2007 et les grandes alliances Nyse-Euronext, Nasdaq-OMX, LSE-Borsa Italiana et Eurex-ISE, l'étape suivante se faisait donc attendre.

Le décalage d'un mois entre les fiançailles annoncées de ces quatre géants et celles de leurs hardis challengers, les plates-formes Chi-X et BATS, en décembre dernier est symptomatique de l'attentisme que les établissements boursiers régaliens ont adopté depuis le début vis-à-vis des marchés dits alternatifs. Le phénomène a démarré outre- Atlantique où les Nyse et Nasdaq ont finalement dû racheter au prix fort, au début des années 2000, les plates-formes électroniques Arca et INET, qui avaient piétiné leurs plates-bandes. Sans remonter si loin, revenons en 2007 lorsque les autorités européennes, avec la directive MIF [Marchés d'instruments financiers, Ndlr], ont autorisé la concurrence de nouveaux acteurs, avec la volonté de dépoussiérer les monopoles historiques et d'armer le Vieux Continent face à la mondialisation des échanges. Les grandes banques anglo-saxonnes ont rapidement identifié l'opportunité de moderniser les échanges et d'en réduire les coûts. Portées par ces actionnaires exigeants, plusieurs nouvelles plates-formes ont surfé sur le statut de MTF "Multilateral Trading Facility" et mis l'accent sur l'innovation pour conquérir des parts de marché.

Malgré le précédent américain, les opérateurs boursiers n'avaient pas anticipé ce mouvement, ou plutôt avaient considéré que la liquidité de leurs carnets d'ordres les préserverait des attaques. Ils ont donc mis un certain temps à réagir aux modèles tarifaires ingénieux et agressifs des MTF et les opérateurs historiques restent aujourd'hui en moyenne quatre fois plus chers que leurs concurrents. Face à la percée technologique des nouveaux arrivants, en phase avec le développement du trading haute fréquence, ils ont entrepris trop tard d'adapter leurs infrastructures. Enfin, les MTF qu'ils ont eux-mêmes lancés sur le modèle paneuropéen des marchés alternatifs n'ont pas franchi le seuil critique de liquidité, sans doute desservis par leur lien direct avec les marchés historiques.

Aujourd'hui, trois ans après l'application de la directive MIF, les marchés alternatifs font pleinement partie du paysage européen au même titre que leurs aînés.

A leur tête caracole Chi-X, première plate-forme européenne avec 18% des échanges en 2010 juste devant Nyse-Euronext (17,6%), même si le groupe formé du LSE (13,5%), de Borsa Italiana (7,9%) et du MTF Turquoise (3,4%) conserve 24,8% du marché. Le succès de Chi-X tient d'abord à la vision stratégique de son actionnaire fondateur Instinet, qui a su investir avant l'entrée en vigueur de la directive pour démarrer la plate-forme en mars 2007 au Royaume-Uni et en Allemagne et devancer ainsi toute la concurrence. Avec cette avance et une technologie supérieure non seulement à celle des Bourses historiques mais également à celle des autres MTF comme Turquoise, Chi-X n'a eu qu'à ouvrir progressivement son capital aux principales banques pour conserver la première place et parvenir en 2010 à dégager ses premiers bénéfices. BATS Trading, qui a eu un parcours équivalent aux États-Unis depuis son démarrage en 2005, capte aujourd'hui 11% des échanges d'actions outre-Atlantique et 5,7% en Europe. C'est pourquoi Chi-X, très courtisé en 2010, a choisi d'approfondir les négociations avec cet alter ego et partenaire naturel. L'ensemble formé de BATS et Chi-X s'installerait durablement parmi les leaders du secteur, tout en conservant son agilité et sa capacité d'innovation.

Il est donc logique que nos institutions boursières historiques cherchent à se regrouper pour faire face à la fougue de ces concurrents insatiables. Toujours est-il que les enjeux actuels vont bien au-delà des marchés actions européens et américains, et affecteront les acteurs historiques comme les MTF. Tous vont devoir s'adapter à deux phénomènes incontournables : les évolutions réglementaires majeures consécutives à la crise financière de 2007-2008 et la croissance fulgurante des marchés asiatiques. En Europe et aux Etats-Unis, les autorités politiques et réglementaires vont oeuvrer pour plus de transparence et la sécurisation de toutes les opérations financières, sur les marchés organisés ou de gré à gré, en promouvant l'élargissement des règles et pratiques en vigueur sur les actions. Les opportunités sont donc nombreuses pour les infrastructures de marché d'étendre leur champ d'activité ou leur champ géographique. Instinet a de nouveau pris les devants en démarrant le trading des CFD (produits OTC) sur Chi-X Europe, et surtout en développant à travers son groupe Chi-X Global des plates-formes au Japon, à Singapour et bientôt en Australie. Et si le succès se cachait derrière le slogan martelé par BATS : "Making markets better" ?

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