Taxer le capital, une fausse solution

En France, le capital est apparemment moins taxé que le travail. La réalité est plus nuancée, même si les nombreuses niches fiscales constituent autant d'échappatoires. Un casse-tête de plus pour réformer bouclier fiscal et ISF...
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Le travail est trop taxé, cela décourage l'embauche, mais on ne peut priver de ressources un Etat déjà impécunieux. Taxons donc le capital qui est, lui, moins imposé ! Alors que le gouvernement et sa majorité tentent de s'extraire du piège de la suppression du bouclier fiscal, certains suggèrent d'aller plus loin dans la réforme. Et de faire vraiment bouger les curseurs, entre imposition du travail et du capital. Puisque ce dernier est privilégié, pourquoi se gêner ? D'autant que les risques d'une délocalisation de l'épargne des particuliers n'apparaissent pas si élevés.

Le problème, c'est que ce présupposé d'une moindre imposition prête à contestation. Du coup, si des marges de manoeuvre existent, pour ponctionner plus fortement le capital, elles apparaissent limitées. Et les vrais gisements d'imposition sont, on le verra, politiquement impraticables, pour au moins l'un d'entre eux.

A voir les données macroéconomiques, il n'existe pas de différence réelle d'imposition entre les deux facteurs. Selon Eurostat, en France la ponction totale du fisc sur le capital (ISF, bien sûr, mais aussi taxes foncières, imposition des plus-values, droit de succession, impôt sur les bénéfices...) représente, sur un an, 38,8% des revenus issus de ce capital. Quant à la taxation du travail, elle correspond globalement à 41,4% des salaires. Un écart peu significatif, donc.

Les partisans d'un prélèvement accru sur le capital argueront qu'Eurostat additionne des choux et des carottes, mêlant taxation du stock et des revenus, des sociétés et des ménages. Mais ces distinctions n'ont qu'une portée limitée. Lorsqu'il s'agit d'imposer des profits, par exemple, le fait que ce soit l'entreprise ou ses propriétaires qui les paient ne change pas grand-chose. C'est autant de moins dans la poche de ces derniers.

En outre, le résultat global d'Eurostat est confirmé par les analyses microéconomiques. Henri Sterdyniak, de l'Observatoire français des conjonctures économiques, parvient à la même conclusion, en examinant chaque impôt. Prenant l'exemple d'un salarié à haut revenu - soumis à l'imposition maximale de 41% - il estime à 54,4% le taux réel, au sens économique, de taxation des revenus du travail, compte tenu des différents prélèvements sociaux n'ouvrant pas de droits spécifiques. A l'inverse, les cotisations de retraite ou chômage ne constituent pas à proprement parler des impôts, puisqu'elles peuvent être assimilées à du salaire différé. Elles ne sont donc pas prises en compte.

Ce taux de 54,4% frappant le travail semble particulièrement élevé en regard de l'imposition des revenus de l'épargne. N'est-elle pas limitée à 31,3%, s'agissant des intérêts perçus par les particuliers ? Ce chiffre ne correspond pas, en fait, à la réalité économique. Il faut en effet défalquer la hausse des prix pour évaluer le montant réel des intérêts encaissés. Si l'on retient l'hypothèse de long terme, de taux d'intérêt atteignant 4,5%, tandis que l'inflation est de 2%, le rendement réel d'un placement se trouve limité à 2,5%. Dans ce cas, l'impôt, calculé sur la base du taux d'intérêt nominal, représente 56,3%. Pas loin, donc, de celui sur les salaires.

Quant aux dividendes encaissés par les particuliers, il faut intégrer dans le calcul leur taxation en amont, sous forme d'impôt sur les bénéfices payé par la société qui les distribue. Leur taux d'imposition réel, au sens économique du terme, atteint donc 54,2%. Le raisonnement est le même s'agissant des plus-values. A ces impôts sur les flux, s'ajoute bien sûr l'ISF...

Dès lors qu'il est taxé, le capital se trouve donc sensiblement ponctionné. Le problème, en France, réside surtout dans les échappatoires à toute imposition. Les fameuses niches, multipliées au fil des années. Plan d'épargne en actions et contrats d'assurance-vie dits "DSK" ou "Sarkozy" permettent d'échapper à tout prélèvement fiscal, passé un certain délai, que ce soit sur les dividendes ou les plus-values. Il a été en outre promis de détaxer les plus-values sur actions en cas de conversion de titres sur le long terme Des marges de taxation seraient donc, théoriquement, envisageables de ce côté. Mais ne veut-on pas privilégier le placement en actions ?

L'autre source possible de recette, particulièrement importante, serait l'imposition de ce qu'on appelle les "loyers implicites" : les économistes considèrent que le fait d'être propriétaire de son logement procure indirectement un revenu, correspondant à l'économie liée au non-paiement d'un loyer. Les partisans d'une taxation accrue du capital insistent sur ce gisement : il suffirait d'imposer ce revenu "implicite". Mais imagine-t-on un ministre annoncer cette nouvelle, à des Français que l'on a poussés à devenir propriétaires ? C'est la raison pour laquelle le chef de l'État, sous la pression de sa majorité, a renoncé à taxer les plus-values sur la résidence principale.

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