Ce que les économistes américains ne veulent pas voir

Dans les grandes banques new-yorkaises, on se montre beaucoup plus optimiste qu'en Europe sur l'économie américaine. Outre-Atlantique, les économistes refusent de considérer l'explosion du chômage de longue durée comme un phénomène structurel.
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Au-delà de la traditionnelle formule du verre à moitié vide ou à moitié plein, il y a deux façons de voir, aujourd'hui, l'avenir de l'économie américaine. Pas de coupure, en l'occurrence, entre optimistes et pessimistes. Ce serait trop simple. Les prévisions des économistes divergent en fait selon qu'ils sont installés aux Etats-Unis ou en Europe. Outre-Atlantique, on assimile le redémarrage actuel de la croissance américaine à une reprise classique, après un épisode de récession. A entendre les experts, le PIB, stimulé par les réductions d'impôt, va progresser de plus en plus vite. A condition que la politique économique continue de soutenir l'activité, ce qu'a défendu récemment le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, la crise est bel et bien finie, tout va repartir comme avant. D'où des prévisions des grandes banques new-yorkaises anticipant une croissance dépassant allègrement les 3% en 2011, pour frôler parfois les 4%.

Les conjoncturistes européens, eux, se montrent beaucoup plus prudents. En dépit des bons indicateurs issus des enquêtes auprès des industriels américains, qui devraient se traduire par une hausse substantielle du PIB au moins au premier trimestre, ils s'attendent à une croissance proche de 3% aux Etats-Unis, voire moins. Surtout, de ce côté de l'Atlantique, on pointe du doigt un phénomène nouveau : l'européanisation de l'économie américaine. Pour résumer, les Etats-Unis découvrent aujourd'hui les maux propres au Vieux Continent, autrement dit les traditionnels blocages tels que l'absence de mobilité géographique et un chômage structurel important. A entendre le directeur des études économiques de Natixis, Patrick Artus, ses collègues américains surestiment la croissance à venir dans leurs pays, car ils se montrent incapables d'intégrer dans leurs analyses l'évolution structurelle de l'économie de leur pays.

S'agissant de la traditionnelle mobilité géographique des salariés américains, celle-ci ne serait plus qu'un souvenir. La chute des prix de l'immobilier - les prix sont encore de 50% inférieurs à leur niveau de 1996 - rend désormais presque impossible de vendre un logement pour s'installer ailleurs, à moins de solder une lourde perte en capital. Ce point fait toutefois débat. Des économistes font valoir l'importance du taux de chômage partout aux États-Unis. Impossible, dans ces conditions, d'imaginer des transferts importants de population.

Ce qui ne peut être contesté, en revanche, c'est l'envolée du chômage, et son maintien à haut niveau. Qui aurait parié voilà à peine plus de deux ans sur un taux de chômage équivalent en France et aux Etats-Unis, pays de la fluidité du marché du travail ? Personne ne croit plus vraiment à l'amélioration des statistiques annoncée pour janvier. Le taux de chômage se maintient autour de 10%. Surtout, les Américains découvrent le chômage de longue durée, souvent assimilé à un sous-emploi structurel. Avant septembre 2008, les chômeurs de longue durée (soit plus de vingt-sept semaines) représentaient moins de 20% des sans-emploi. Aujourd'hui, cette proportion atteint 45% des 13,9 millions d'Américains inscrits au chômage. Du jamais-vu jusqu'ici.

Même si des allocations chômage ont été prolongées, ces consommateurs potentiels font désormais défaut. Surtout, ils risquent de devenir inemployables. Une situation comparable à celle de la France. Ce chômage élevé détermine bien sûr les évolutions salariales : les syndicats ont de moins en moins de pouvoir de négociation. Avec, là aussi, un risque pour la consommation.

Mais les conjoncturistes américains ont toutes les peines du monde à voir cette réalité. Ils se cantonnent à la traditionnelle analyse conjoncturelle. Pour eux, la violence de la récession de 2008-2009 - qui n'est pas encore effacée, puisque le niveau de production se situe encore 9% en dessous du pic d'activité enregistré avant - explique à elle seule la situation actuelle, dont l'économie américaine va s'extraire tout naturellement. Comme elle est sortie des récessions précédentes. Une certaine cécité ?

Admettre que leur société rencontre, peu ou prou, les mêmes blocages que l'Europe reviendrait, dans leur esprit, à remettre en cause le modèle américain, de mobilité et d'ascension sociale, qui fonde tout le consensus social aux Etats-Unis. Impensable...

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