Vive la désindustrialisation !

Par Julia Cagé, de l'université de Harvard et de l'Ecole d'économie de Paris (PSE).
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Il y a des discours politiquement vendeurs, car touchant aux peurs les plus profondes des citoyens. Ces discours sont dangereux quand ils sont faux et font le choix de la facilité. Les discours répétés sur la désindustrialisation et le déclin de la France sont de ceux-là. Oui, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total est en train de baisser. Oui, la France est en train de se désindustrialiser. Mais non, ce n'est pas grave. En fait, c'est tant mieux.

Ce qui est grave aujourd'hui, ce n'est pas le déclin de la production industrielle, mais le retard du pays en matière d'innovation. La France n'invente pas, refuse de se donner les moyens de le faire et s'obstine à rester spécialisée dans des secteurs anciens plutôt que de faire le choix de la haute technologie. C'est l'un des rares pays de l'OCDE dont la part de la R&D dans le PIB a reculé au cours des quinze dernières années.

On érige (un peu trop) souvent l'Allemagne en exemple. Mais si notre voisin se porte si bien quant à ses exportations, c'est en partie parce qu'il a délocalisé une part de sa production, tout en maintenant sur les sites nationaux les étapes à haute valeur ajoutée. La France doit avoir le courage de faire ce choix de l'outsourcing, parce que c'est celui de la valeur ajoutée et de l'emploi.

Vous n'êtes pas convaincus ? Retournez votre iPhone : "designed by Apple in California. Assembled in China". Qui d'après vous est gagnant dans l'histoire ? La Chine qui produit ou les Etats-Unis qui créent ? Si l'assemblage d'un iPhone produisait plus de valeur pour le pays assembleur que sa conception pour le pays de création, alors il serait tout à fait légitime de défendre la survie d'une industrie forte qui puisse assembler tous les iPhones du monde. Mais ce n'est pas le cas. Dans un système mondialisé de l'innovation, celui qui capture la valeur, c'est celui qui innove, pas celui qui produit. Une étude américaine a montré que les Etats-Unis capturaient la plus grosse partie de la valeur ajoutée produite par l'iPod, la Chine une toute petite partie seulement. De même, la valeur ajoutée de la Chine dans les ordinateurs n'est que de 5%. Il en va également ainsi de vos Nike préférées.

Dès lors, pourquoi ne pas faire clairement le choix de devenir une économie de conception, créatrice d'innovations, plutôt que de tenter en vain, du fait des différentiels de coûts salariaux, de rester le pays qui assemble ? Pourquoi regretter de ne plus être la Chine de l'Europe ? Pourquoi ne pas chercher plutôt à devenir la Silicon Valley alors même que la Chine, où a été mis en place en 2006 un plan de quinze ans destiné à transformer le pays en une société orientée vers l'innovation, aimerait avoir cette opportunité ? Les téléviseurs LCD, fabriqués en Chine, ont été inventés aux États-Unis. Le Kindle, produit à Taïwan, a été inventé dans la Silicon Valley.

Applaudir des deux mains la désindustrialisation - renoncer à la grandeur industrielle passée - nécessite de repenser en profondeur les priorités de l'économie et de se donner les moyens de devenir une économie de l'innovation. On nous répondra que l'industrie offrait une intégration aux ouvriers que le tertiaire n'offre pas, d'où le désarroi des jeunes non diplômés. Mais qu'y a-t-il d'intrinsèque à l'industrie qui fasse qu'elle seule puisse leur offrir des débouchés ? Ne nous y trompons pas, la plus grande part des activités de conception et d'innovation - créatrices d'emploi, et pas seulement pour les plus qualifiés - est comptabilisée dans les services, non dans l'industrie.

Certes, il n'est pas facile pour la gauche, longtemps associée au vote ouvrier, d'abandonner les rêves de grandeur industrielle. Pourtant, elle souffre ici de ses propres contradictions, n'arrivant pas à réconcilier un discours sur la difficulté des conditions de travail à l'usine avec la volonté assumée de réindustrialiser. Mais se lamenter face à la désindustrialisation, c'est donner à la droite un bâton pour se faire battre, qui aura vite fait d'argumenter - à tort - que la perte de 500.000 emplois industriels depuis 2000 est due aux 35 heures.

Dans la nouvelle division internationale du travail, ce ne sont plus des biens industriels que la France doit chercher à exporter, mais de l'éducation, de la santé (comme le souligne Philippe Askenazy dans son dernier livre) et des idées. Laboratoire, université, hôpital du monde. Inventer, éduquer, soigner. La France retrouvera ainsi un équilibre vertueux de sa balance commerciale et la croissance indispensable à un État providence à même de protéger les perdants de cette modernisation.

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Commentaire 1
à écrit le 03/02/2022 à 20:04
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Si l'industrie n'était pas nécessaire pourquoi tous nos voisins on en gardé une part qui représente au minimum le double de la nôtre ? l'innovation ds les emplois de services ? c'est à mourir de rire ou de pleurer quand on compare les conditions de r...

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