Les milliards de Kadhafi à la City

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Il aura fallu attendre dimanche soir, et peut-être un millier de morts en Libye, pour que le Royaume-Uni gèle finalement les actifs de Muammar Kadhafi. La décision faisait suite aux sanctions votées quelques heures avant par les Nations unies. Personne ne sait combien possède exactement le dictateur libyen du côté de Londres. À part une résidence d'un de ses fils évaluée à 12 millions d'euros, ses possessions sont inconnues.

En revanche, personne ne semble douter une seule seconde que les sommes en jeu soient gigantesques. La City est connue pour cela : les fortunes des milliardaires de la planète, dictateurs et tyrans compris, passent par cette blanchisseuse multinationale. Le centre financier britannique est lié directement à de nombreux paradis fiscaux - de Jersey aux îles Caïmans - et le droit anglais est l'inventeur du trust, un véhicule parfait pour dissimuler l'appartenance des fortunes.

Deux incroyables anecdotes révèlent l'ampleur du phénomène. La semaine dernière, la Libye a officiellement demandé d'exporter hors du Royaume-Uni 1 milliard d'euros en billets de banque libyens neufs. S'y opposer légalement prenant quelques jours, les services des douanes britanniques ont joué les idiots pour faire traîner l'exportation. Ils ont d'abord demandé de faire transporter la somme via une vingtaine de 4×4, chacun ne pouvant avoir plus de 60 millions à bord. Quand la Libye a répliqué qu'elle enverrait un avion, les services britanniques ont exigé que soit utilisé un aéroport dans le Kent, dans le sud-est de l'Angleterre, alors que l'argent était dans le nord du pays. Les valises de billets n'ont finalement jamais quitté le territoire britannique, et l'interdiction d'exportation est maintenant en place.

La seconde anecdote vient d'un scoop du « Times ». Selon le quotidien, un intermédiaire financier suisse a récemment voulu déposer 3,5 milliards d'euros appartenant à Kadhafi auprès d'un gérant de fortune britannique. 3,5 milliards ! C'est environ 6 % du PIB libyen. Le gérant (anonyme) qui révèle l'histoire affirme avoir refusé la somme. L'intermédiaire financier a ensuite continué sa recherche. On ignore s'il a réussi à trouver un Faust de la finance.

Ces histoires agacent au plus haut point Richard Murphy, grand militant antiévasion fiscale, et fondateur de Tax Justice Network. Selon lui, cela prouve qu'il était possible de s'attaquer à l'argent du dictateur depuis longtemps. « Comment est-ce que les banquiers britanniques et probablement les avocats et peut-être les comptables ont-ils pu manipuler ces fonds sans suspicion de blanchiment d'argent jusqu'à maintenant ? » s'interroge-t-il sur son blog. « Et ne devrions-nous pas geler les actifs des leaders de nombreux autres États ? Et sinon, pourquoi pas ? »

Les preuves de l'argent sale qui passe à Londres sont nombreuses. L'indice du secret financier, mis en place par Tax Justice Network, classe Londres au cinquième rang mondial en termes de protection du secret. L'industrie de la gestion de fortune a même un nom doux réservé aux dictateurs : « politically exposed persons » (« les personnes politiquement exposées »). Gordon Brown, l'ancien Premier ministre, après avoir longtemps fermé les yeux sur les paradis fiscaux, avait haussé le ton au moment du G20 de Londres en avril 2009. Mais depuis, la pression politique est retombée. La preuve ? Des rumeurs persistantes font état d'argent d'Hosni Moubarak à Londres. Si la Suisse a gelé l'argent de l'ancien dictateur égyptien, les Britanniques n'ont, pour l'instant, pas suivi.

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