De Tchernobyl à Fukushima, la science prise au piège de la politique

Par Philippe Mabille, rédacteur en chef Éditoriaux & Opinions à La Tribune
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Principe de précaution ou précaution par principe ? Vingt-cinq ans après la catastrophe de Tchernobyl, le 26 avril 1986, celle de Fukushima au Japon est venue rappeler au monde sa fragilité face au monstre froid de la science, provoquant dans plusieurs pays un revirement en matière de nucléaire civil (Allemagne, Italie) et un débat mondial sur la sécurité de cette énergie. Virus H1N1, µMediator, nucléaire... À chaque fois, c'est un déficit démocratique qui nourrit les peurs. Une peur qui se nourrit de l'ignorance des citoyens face à la science, mais aussi de sa propre montée en puissance dans les démocraties avancées. « Paradoxalement, plus la sécurité augmente, et plus la peur s'étend », souligne Pierre-Henri Tavoillot, qui recevait récemment au Collège de philosophie à la Sorbonne le physicien Etienne Klein sur le thème « Comment faire entrer la science en politique ». La peur rassemble, d'autant que derrière le soupçon, se cache le complot, la certitude que se masquent dans l'ombre des intérêts maléfiques.

La responsabilité du groupe Tepco, l'électricien japonais opérateur de Fukushima, dans le déni du risque sismique, a été démontrée. À Tchernobyl, c'est une erreur humaine au cours d'un test de la part d'ingénieurs fortement alcoolisés et dans une centrale mal conçue qui est à l'origine du drame. Manifeste encore aujourd'hui au niveau local, la catastrophe n'a pas été celle que l'on a dite dans le reste de l'Europe. Par exemple, contrairement à une idée répandue, personne parmi les autorités françaises n'a jamais dit que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière allemande. Il y a eu en revanche un bug de communication majeur : pendant que le gouvernement allemand, soumis à une opinion hypersensible, commençait à interdire la consommation de certains produits, la France a tardé à communiquer, afin d'éviter toute panique. Ce contraste entre l'attitude des autorités des deux pays a nourri les fantasmes, alors même que les spécialistes s'accordent à dire que, sauf à avoir mangé à l'époque 30 tonnes d'épinards, le risque des retombées radioactives en France a été négligeable sur la santé humaine.

Avec Fukushima, la leçon bien apprise a conduit à une surexposition médiatique de la catastrophe et à une recherche de transparence maximale. C'est ainsi que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) s'est astreinte à un point quotidien d'information, que l'on a pu suivre heure par heure la progression d'un nuage japonais dont l'impact sur le reste du monde a été moindre que ce que l'on reçoit en radiation lors d'un voyage en avion entre Paris et New York. Que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas ici de minimiser le risque nucléaire, mais de dire qu'il ne se situe pas forcément là où on le dit. La sécurité de nos centrales, qui fait l'objet d'un audit, mérite un vrai débat et l'on ne peut que se féliciter de voir EDF communiquer sur le sujet avec le plan annoncé hier par Henri Proglio. C'est d'ailleurs grâce à Fukushima qu'il a obtenu de Sarkozy l'arbitrage sur le prix le plus élevé pour la revente à ses concurrents de son électricité nucléaire.

Reste une évidence, pointée par le physicien Etienne Klein : le monde de la science a de plus en plus de mal à argumenter dans une société où les citoyens ont paradoxalement peu de connaissances scientifiques. Il n'est qu'à voir le fiasco du débat public sur les nanotechnologies, qui auront pourtant plus de conséquences sur notre vie future que nombre de lois. « La science est en lévitation politique : c'est notre principale difficulté », reconnaît-il. C'est que la technologie, par sa facilité apparente d'usage et d'accès, son prix peu élevé, nous éloigne de plus en plus de la connaissance pour nous transformer en consommateurs passifs. Qui sait comment fonctionne un iPhone ? Si on faisait demain un référendum sur le nucléaire, qui serait capable de répondre en conscience oui ou non à une question qui en comporte en réalité plusieurs ? Quel prix pour l'électricité ? Que faire des déchets ? Faut-il investir 1.000 milliards d'euros pour remplacer les centrales par des éoliennes ? Et pourquoi pas un référendum sur les économies d'énergie, en vertu du principe de bon sens qui veut que l'énergie la moins chère est celle... que l'on ne consomme pas !

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